Topsy-Turvy : Belle époque
Cinéma

Topsy-Turvy : Belle époque

Les cinéastes risquent toujours de devenir prisonniers de leur image. Celle de Mike Leigh voulait qu’il signe presque exclusivement des portraits de petites gens en proie aux problèmes qui assaillent l’Angleterre contemporaine. On est donc surpris de le voir s’attaquer aujourd’hui à une biographie musicale d’époque…

Les cinéastes — comme tous les artistes – risquent toujours de devenir prisonniers de leur image. Celle de Mike Leigh (l’auteur de High Hopes, Naked et Secrets and Lies) voulait qu’il signe presque exclusivement des portraits de petites gens en proie aux problèmes qui assaillent l’Angleterre contemporaine. On est donc forcément surpris de le voir s’attaquer aujourd’hui à une biographie musicale d’époque aussi ambitieuse que Topsy-Turvy – qui relate les événements entourant la création du Mikado de Gilbert et Sullivan, deux artistes qui (ce n’est sans doute pas une coïncidence) étaient eux aussi prisonniers des attentes du public de leur époque…

Nous sommes en 1884, et sir Arthur Sullivan (Allan Corduner) et William S. Gilbert (Jim Broadbent) se remettent difficilement de l’échec de leur dernière collaboration, La Princesse Ida. La réaction du public est si décevante que Sullivan – qui aspire à écrire de la musique «sérieuse» – n’hésite pas à dire à Gilbert qu’il en a marre de ses livrets fantaisistes et de leurs prétextes «topsy-turvy» (sens dessus dessous). Au bord de la rupture, le tandem tente une ultime collaboration, Le Mikado, inspirée par la visite d’une exposition japonaise à Londres. Mais parviendront-ils à triompher de leur méfiance mutuelle, des attentes du public et des egos des membres de leur troupe?

Partant de cette prémisse classique (nos héros réussiront-ils à monter leur spectacle?), Leigh signe une biographie musicale rehaussée par tout ce qui fait la force de son cinéma: la richesse des personnages (même les plus petits rôles sont merveilleusement interprétés); l’attention portée à l’arrière-plan social (le scénario intègre astucieusement les événements d’actualité – comme la mort de Gordon à Khartoum – et les dernières inventions de l’époque – du stylo au téléphone); sans oublier la manière à la fois chaleureuse et brutale dont Leigh aborde toujours les tourments de ses personnages (qu’il s’agisse de la froideur congénitale de Gilbert, ou des problèmes de drogue – eh oui! – d’un de ses chanteurs).

Résultat: une méditation sur la création, le couple (dans le travail comme dans la vie) et le ressourcement artistique, qui suggère un croisement entre une biographie musicale à la Amadeus et les drames sociaux du jeune cinéma anglais des années soixante. Seule réserve: la surabondance de numéros musicaux dans un film déjà long (160 minutes), qui entraîne – surtout vers la fin – un certain dispersement narratif.

Il faut toutefois souligner que ce spectacle divertissant, typiquement british et parfois très drôle ne serait pas ce qu’il est sans l’interprétation de Jim Broadbent. Cet excellent acteur – le type dont tout le monde connaît le visage et ignore le nom… – parvient à faire de l’irascible Gilbert un personnage étonnamment attachant: un artiste récalcitrant aux manières de comptable rangé; un poète naïf aux allures de général cynique; un rêveur puéril déguisé en fonctionnaire de la création. Ce paradoxe vivant incarne bien les contradictions de cette comédie aigre-douce où les pièges de la création répondent aux attentes du public dans un monde sens dessus dessous…

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