Vénus Beauté (Institut) : Grain de beauté
Succès total en France et César en vue… Avec Vénus Beauté (Institut), Tonie Marshall réussit une comédie amère et offre du sur-mesure à Nathalie Baye.
Au coin d’une rue, filmée du trottoir d’en face, brille d’un éclat laiteux la devanture d’un institut de beauté de quartier, le Vénus Beauté. Derrière la vitrine et sous les néons roses, on aperçoit une femme qui replace quelques pots, menue et élégante dans son uniforme. Il fait nuit, elle va fermer boutique. Elle éteint les lumières et tout devient bleu clair. Elle sort et disparaît… Pour cette première scène, il ne manque qu’une envolée à la Michel Legrand et la signature de Jacques Demy. Par la grâce d’un certain éclairage et d’une gestuelle tout en douceur, Tonie Marshall a su, elle aussi, extraire la magie du réel. Avec Vénus Beauté (Institut), devenu un succès critique et populaire en France – au risque même de raffler quelques totems aux César -, cette actrice-réalisatrice (Enfants de salaud, Pas très catholique) signe son cinquième – et meilleur – long métrage. Sur le mode intime, on entre dans un monde féminin; un gynécée moderne qui ressemblerait à un terrain neutre, libéré de toute convention sociale. C’est Vénus Beauté ª(Institut) ou l’effet placebo. Ça fait du bien!
«Il y a quelque temps, juste à côté de chez moi, s’est ouvert un institut de beauté. Tout rose, avec des néons… Ça me faisait envie», explique Tonie Marshall en entrevue. Devenue cliente, elle a écouté les confidences, les remontrances, les secrets échangés entre clients et personnel. C’était, dit-elle, au-delà de mes espérances: «On dépose dans un institut de beauté des moments d’intimité comme nulle part ailleurs. Et pour le film, je n’ai pas gardé tout ce que j’ai vu et entendu…» Avec une patronne et trois «filles», la réalisatrice a recomposé ce havre de paix. On y rencontre Nadine (Bulle Ogier, presque surréaliste dans une composition à la Danielle Darrieux), qui croit fermement aux miracles de la cosmétique; Samantha (Mathilde Seigner), vulgaire, avec le verbe haut mais l’âme brisée; Marie (Audrey Tautou), une femme enfant, adorable et directe; et Angèle (Nathalie Baye), la plus responsable, la plus âgée et peut-être la plus folle des quatre. Sage dans son univers rose bonbon, cette dernière devient tigresse sur le seuil de la porte. Angèle ne veut pas vieillir, elle cherche les rencontres, un minimum de sexe et de camaraderie. «Elle est dans un état perpétuel de confrontation frontale», précise la réalisatrice. Brisée depuis l’enfance, elle mélange amour et mort et redoute la passion. Or, c’est ce qui l’attend au tournant avec Antoine (Samuel Le Bihan), la trentaine mâle et le coup de foudre radical.
Tonie Marshall a déjà travaillé avec Nathalie Baye dans Enfants de salaud et elle savait à qui elle avait affaire. «Elle a une très forte personnalité, elle est compliquée, bordélique, elle est éclatée, un peu voyou, elle connaît le rapport à la séduction et à la solitude: je savais qu’elle était capable de créer un personnage qui ne jouerait pas sur le charme. C’est une très bonne actrice…», ajoute délicatement la réalisatrice.
Reine du paradoxe, Nathalie Baye parle d’un rôle exigeant, d’une envie de scénario, d’un désir de personnage à assouvir. «Je savais que Tonie écrivait un rôle pour moi, explique l’actrice, toute menue, à la fois frêle et forte. C’était excitant, mais aussi inquiétant. Je savais qu’il y aurait des choses drôles dans ce film, mais je suis rarement engagée pour jouer la comédie. Je savais aussi qu’Angèle était une femme qui faisait du bien aux autres, sans s’en faire à elle-même.» Aussi spontanée et réfléchie qu’on l’imagine, avec un sourire et des yeux qui ne livrent pas le même message, Nathalie Baye aime Angèle et ses contradictions. Pour une actrice longtemps enfermée dans un carcan, mais qui, depuis Un week-end sur deux, de Nicole Garcia, laisse éclater son image, ce rôle marque une étape, avec un personnage ni très aimable ni très glamour. «Plus le parcours s’allonge et plus je choisis des rôles qui sont éloignés de moi. Cela m’intéresse de sortir de moi-même, glisse-t-elle d’une voix douce.
Autour d’Angèle, les personnages se croisent rapidement, dévoilant leurs émotions et trahissant leurs origines selon un ballet bien chorégraphié. Car nous sommes spectateurs d’un film à deux têtes: il y a l’intérieur et l’extérieur de l’Institut. Nous sommes toujours entre deux situations, deux âges, deux amours, entre le côté populo de l’Institut et l’aisance de la bourgeoisie de province – personnifiée par deux tantes proprettes, Micheline Presle et Emmanuelle Riva – («Je voulais un côté Les Demoiselles de Rochefort vingt-cinq ans après», ajoute Tonie Marshall, décidément très portée sur Jacques Demy); entre les bienfaits et les mensonges de la cosmétique, entre le superficiel des soins et la profondeurs des secrets livrés en cabines…
Car ce sont les mots qui fragmentent cette histoire: les potins et les grossièretés des femmes, les mots d’amour étouffés, les non-dits et les secrets qu’on confie à voix basse. Par les mots, comme par la mise en scène, Vénus Beauté (Institut) effleure plutôt qu’il n’analyse. Bon rattrapage pour un scénario plutôt mince… Cette façon de faire, par petites touches, peut cependant agacer. Ainsi, certaines situations semblent incongrues et certains personnages, parachutés; comme cette cliente qui prend le pouvoir de l’Institut, tous seins et fessier dehors, ou comme Jacques Bonnaffé, l’ex-amant d’Angèle qui traîne une dégaine inquiétante. Étonnamment, même si l’on ne comprend pas tout, même si on soupçonne parfois des lacunes (si soudainement amoureux le beau Samuel Le Bihan!), on absorbe l’essentiel, c’est-à-dire l’ambiance. Ce film pourrait ressembler à l’adaptation française d’une comédie romantique américaine. Mais on se sauve de la guimauve par un pessimisme bien parisien, une vision lucide de l’amour, des personnages nuancés et une impudeur salvatrice quant aux choses du sexe.
Jusqu’à la fin, Tonie Marshall étire le drame pour terminer sur une pirouette. Elle fait du surf sur fond de sinistrose mais laisse éclater une happy end à la fois saugrenue et naturelle, tout à fait dans l’esprit du film. «J’ai filmé un conte de fées, mais pas sous la forme d’un conte de fées, assure-t-elle. Parce que je crois que le bonheur est séquentiel. Mais heureusement, au cinéma, on peut s’offrir ce genre de bulle d’air…»
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