

Mr. Death : Simple bourreau
Les documentaires d’Errol Morris ont toujours traité de sujets hors norme. Le cinéaste n’avait toutefois jamais filmé de personnages plus déroutants que celui qu’il nous présente dans Mr. Death: The Rise and Fall of Fred A. Leuchter Jr.
					
											Georges Privet
																					
																				
				
			Les documentaires d’Errol Morris ont toujours traité de  sujets hors norme: qu’il s’agisse de Gates of Heaven,  son portrait de la rivalité entre deux cimetières d’animaux; ou  The Thin Blue Line, son enquête sur la condamnation à  mort d’un innocent (que le film fit subséquemment libérer!); ou  encore A Brief History of Time, son exploration des  liens entre la vie et les théories de l’astrophysicien  paralytique Stephen Hawkin.
  Errol Morris n’avait toutefois jamais filmé de personnages plus  déroutants que celui qu’il nous présente dans Mr. Death:  The Rise and Fall of Fred A. Leuchter Jr.: un petit  ingénieur autodidacte, timide et un peu ballot, qui se  spécialise dans la conception et la réparation de chaises  électriques, de chambres à gaz et de potences… La première  partie de Mr. Death illustre avec un humour  pince-sans-rire la p’tite vie de ce drôle de bonhomme. Leuchter  nous raconte les circonstances qui l’ont amené un jour à  réparer sa première chaise électrique; les événements qui en  firent un expert sollicité par des dizaines de prisons; et les  incidents qui l’incitèrent à développer des techniques  d’exécution «plus humaines». En route, le cinéaste illustre  (avec son mélange patenté d’entrevues, de scènes reconstituées  et de montages impressionnistes) les aventures de Leuchter dans  le monde des techniques d’exécution, la croissance  exponentielle de son entreprise; et sa rencontre avec sa future  épouse, une employée de Dunkin’Donuts qu’il emmena en voyage de  noces à Auschwitz!
  Puis, le film prend un virage dramatique inattendu avec  l’arrivée d’Ernst Zundel, le néonazi canadien qui fut traîné en  cour pour avoir prétendu que l’Holocauste n’avait jamais  existé, et qui fit appel à l’«expertise» de Leuchter pour  prouver que les chambres à gaz n’avaient jamais pu fonctionner;  ce que Leuchter «confirma» effectivement dans un rapport  farfelu — mais largement diffusé – dont les conclusions sont  ici torpillées par le chimiste qui conduisit les tests en  question! Cette suie d’événements pour le moins bizarres fit de  Leuchter l’allié objectif des néonazis (même s’il affirme – et  Morris semble le croire – qu’il n’est pas antisémite), et le  conduisit rapidement à sa ruine: il perdit coup sur coup sa  femme, ses amis, ses contacts et son entreprise.
  Ce qui s’annonçait comme le portrait saugrenu d’un personnage  excentrique devient alors une réflexion étonnamment complexe  sur la vanité, l’intolérance et l’aveuglement. Fred A. Leuchter  Jr. est-il un bigot qui chercha dans sa prétendue expertise de  quoi renforcer ses préjugés? Ou bien un naïf qui collabora avec  des monstres parce qu’ils flattaient son sentiment de  compétence? Intelligemment, le film ne tranche pas, préférant  nous renvoyer – à travers les images fortes de Peter Donohue et  la musique envoûtante de Caleb Sampson – l’image d’une figure  tragi-comique qui nous fait rire mais qui nous ressemble: celle  d’un être paradoxal («expert» naïf, bourreau humain, monstre  ordinaire) si obsédé par le spectre de la mort qu’il ne peut  survivre qu’en exagérant sa propre importance.
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