Mr. Death : Simple bourreau
Les documentaires d’Errol Morris ont toujours traité de sujets hors norme. Le cinéaste n’avait toutefois jamais filmé de personnages plus déroutants que celui qu’il nous présente dans Mr. Death: The Rise and Fall of Fred A. Leuchter Jr.
Les documentaires d’Errol Morris ont toujours traité de sujets hors norme: qu’il s’agisse de Gates of Heaven, son portrait de la rivalité entre deux cimetières d’animaux; ou The Thin Blue Line, son enquête sur la condamnation à mort d’un innocent (que le film fit subséquemment libérer!); ou encore A Brief History of Time, son exploration des liens entre la vie et les théories de l’astrophysicien paralytique Stephen Hawkin.
Errol Morris n’avait toutefois jamais filmé de personnages plus déroutants que celui qu’il nous présente dans Mr. Death: The Rise and Fall of Fred A. Leuchter Jr.: un petit ingénieur autodidacte, timide et un peu ballot, qui se spécialise dans la conception et la réparation de chaises électriques, de chambres à gaz et de potences… La première partie de Mr. Death illustre avec un humour pince-sans-rire la p’tite vie de ce drôle de bonhomme. Leuchter nous raconte les circonstances qui l’ont amené un jour à réparer sa première chaise électrique; les événements qui en firent un expert sollicité par des dizaines de prisons; et les incidents qui l’incitèrent à développer des techniques d’exécution «plus humaines». En route, le cinéaste illustre (avec son mélange patenté d’entrevues, de scènes reconstituées et de montages impressionnistes) les aventures de Leuchter dans le monde des techniques d’exécution, la croissance exponentielle de son entreprise; et sa rencontre avec sa future épouse, une employée de Dunkin’Donuts qu’il emmena en voyage de noces à Auschwitz!
Puis, le film prend un virage dramatique inattendu avec l’arrivée d’Ernst Zundel, le néonazi canadien qui fut traîné en cour pour avoir prétendu que l’Holocauste n’avait jamais existé, et qui fit appel à l’«expertise» de Leuchter pour prouver que les chambres à gaz n’avaient jamais pu fonctionner; ce que Leuchter «confirma» effectivement dans un rapport farfelu — mais largement diffusé – dont les conclusions sont ici torpillées par le chimiste qui conduisit les tests en question! Cette suie d’événements pour le moins bizarres fit de Leuchter l’allié objectif des néonazis (même s’il affirme – et Morris semble le croire – qu’il n’est pas antisémite), et le conduisit rapidement à sa ruine: il perdit coup sur coup sa femme, ses amis, ses contacts et son entreprise.
Ce qui s’annonçait comme le portrait saugrenu d’un personnage excentrique devient alors une réflexion étonnamment complexe sur la vanité, l’intolérance et l’aveuglement. Fred A. Leuchter Jr. est-il un bigot qui chercha dans sa prétendue expertise de quoi renforcer ses préjugés? Ou bien un naïf qui collabora avec des monstres parce qu’ils flattaient son sentiment de compétence? Intelligemment, le film ne tranche pas, préférant nous renvoyer – à travers les images fortes de Peter Donohue et la musique envoûtante de Caleb Sampson – l’image d’une figure tragi-comique qui nous fait rire mais qui nous ressemble: celle d’un être paradoxal («expert» naïf, bourreau humain, monstre ordinaire) si obsédé par le spectre de la mort qu’il ne peut survivre qu’en exagérant sa propre importance.
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