La Beauté de Pandore : Femme fatale
Cinéma

La Beauté de Pandore : Femme fatale

Troisième volet sur la solitude urbaine, où il faut prendre garde aux illusions, La Beauté de Pandore se veut un hymne à la vie. CHARLES BINAMÉ explique.

C’est en tournant une scène de son avant-dernier film, Le Coeur au poing, où Guy Nadon et Pascale Montpetit s’engueulent vertement, que Charles Binamé a senti germer une autre histoire; celle qui viendrait clôturer sa trilogie amorcée avec Eldorado et Le Coeur au poing. «J’ai trouvé de tels accents de vérité dans ce qui était formulé que cela m’a donné une autre vision de la solitude. J’en ai fait un blow-up.» L’agrandissement en question est devenu La Beauté de Pandore, qui ouvre les 18es Rendez-vous du cinéma québécois.
Entre candeur et calcul, et en sirotant une tasse de thé, Binamé explique sa façon de faire. «J’avais une matrice: une fille logée dans un désespoir profond, image de la condamnation vivante, avec une colère impossible à évacuer. En face d’elle, je voulais quelqu’un qui a réussi, mais qui va être fauché.» Pendant que la trame de Pandore se nouait dans sa tête, Binamé place les pièces de son puzzle, selon une méthode élaborée avec Eldorado: le travail sur les improvisations. «Je profite de l’impro comme d’un vrac qui va servir aussi bien à l’auteur qu’à l’acteur. C’est un laboratoire, une gymnastique. Quand les acteurs arrivent sur le plateau, ils connaissent les bouées.» Alors qu’Eldorado était casse-gueule – « jusqu’au montage, on ne savait pas où on allait» -, la construction de La Beauté de Pandore semble avoir été plus facile.
Binamé est étonnant de confiance et d’assurance. Avec une absence quasi totale de trac, il a plongé dans le tas avec une équipe technique, des acteurs, une auteure-scénariste, Suzanne Jacob, et des producteurs, sans rien craindre et en profitant de chaque hasard. «Je n’ai pas le trac, parce que je connais les balises, je comprends le squelette», précise-t-il, serein. Que ce soit relativement au travail avec Pascale Bussières, toujours sombre et frêle, ou à la construction du texte, Binamé parle de matière. «Suzanne Jacob s’est inspirée des ateliers. Une idée germe t va produire des scènes. C’est une écriture dans la chair même des comédiens qui résonnent comme du bois, du grès, ou de la terre…»
Parlant abondamment, et en poète, de son plaisir de créateur, Binamé n’a que le mot«liberté» en bouche. Tournant souvent des pubs, on comprend qu’il se sente léger dans ses films. «En pub, chaque cadre est dessiné. Avec mes films, je peux rompre avec la raison. L’instinct est plus intéressant!» Il fonce donc, jetant à peine un oeil aux locations, pour ne pas figer le plan dans sa tête, pour ne pas tourner «dans une ornière». S’il y a une lumière trop vive sur Hyndman, il la laisse, appréciant la crudité que cela donne aux mots et aux visages. S’il pleut, il ne rentre pas, il sort… Bref, avec lui, l’équipe est toujours sur le qui-vive, spot à la main et caméra en stand-by, prête à attraper l’instant. «Je veux que les acteurs soient au coeur de la production, qu’ils n’aient pas à nous attendre», résume le cinéaste.
La Beauté de Pandore se veut un hymne à la vie, où la découverte de soi passe par des rites initiatiques… Et Montréal dans tout ça? «Je n’ai aucune intention d’ethnologue ou de sociologue! Je filme ce que je vois. La perception que j’ai de Montréal n’est pas inventée, c’est la réalité dans laquelle je vis. Nous sommes dans une époque morose, avec une solitude endémique», assure-t-il, parant le coup face aux clichés Plateau-cool-squeegees-quêteux qui ponctuent ses films. Et quant à un futur projet, Binamé ne sait pas encore si la ville en sera partie prenante; mais il semble avoir une fixation sur… les trains!


Selon la mythologie grecque, Pandore est cette première femme qui, curieuse ou cupide, ouvre la boîte, libérant tous les maux sur la terre. Pas très sympa comme personnage. Charles Binamé rajeunit l’image mythique. Dans La Beauté de Pandore, il imagine Pandore en victime qui devient prédatrice. Dernier volet du triptyque, ce film met en scène Pascale Bussières, fidèlecollaboratrice. Détentrice d’un lourd secret, Pandore décide de le passer au premier amant venu, Vincent (Jean-François Casabonne). Celui-ci perd les pédales, quitte sa blonde, Ariane (Maude Guérin), et se cabre devant les conseils amicaux de Xavier (James Hyndman). Mais il tombe amoureux fou de la dangereuse dame.
D’Eldorado, on garde une certaine colère et un foisonnement d’images vives. On aimait les rencontres kaleidoscopiques du Coeur au poing. Que reste-t-il de La Beauté de Pandore? Des plans qui mangent l’espace et l’impression d’un film final. Binamé boucle la boucle. Parti d’un magma de vies entremélées, il termine dans l’acceptation de soi et des autres. Malheureusement, la sortie du cycle n’a pas le charme cru des autres volets. À force d’émotions calculées, il en vient à assujettir le réel à la poésie, au lieu de magnifier l’un par l’autre. Résultat: on reste coincé dans le décalage, entre une vision du Plateau-Mont-Royal hyperréaliste et une relation amoureuse exaltée, teintée de symbolique mystique (le nom de Pandore, son mutisme de déesse, des foulards déposés comme des signatures, etc.). Sans arrêt, des personnages périphériques, ceux de Pascale Montpetit, Diane Lavallée, Gary Boudreault ou Annick Bergeron, viennent faire état du réel, en rappel du quotidien. Mais ils n’y semblent pas ancrés. Ils flottent. Par la grâce de Maude Guérin, seule la scène de rupture entre Ariane et Vincent s’avère crédible.
Heureusement, on apprécie les images superbes de Pierre Gill, larges et vibrantes; et le montage de Michel Arcand, haché, et parfois brutal. Ces choix visuels ouvrent d’ailleurs une porte surprenante: en cette fin de trilogie urbaine, la ville s’efface. Pandore habite un appartement qui ressemble à une proue de navire; elle et Vincent se rencontrent près d’un bateau; ce dernier travaille dans un cabinet d’architectes totalement vitré où le regard circule; quand les héros s’engueulent, ils le font sur un terrain vert, sur fond de ciel, et quand ils décident de s’aimer, ils ‘enfuient à la campagne. Et c’est dans le désert que Pandore trouve, finalement, une certaine paix. Une envie d’espace qui laisse entendre qu’on a fait le tour du pâté de maisons, et qu’il est temps de passer à autre chose…