Sombre : Film noir
Jean (Marc Barbé) est, un tueur en série qui assassine les femmes qu’il croise sur sa route, jusqu’au jour où il rencontre Claire (Elina Lowensohn), une vierge qui s’attachera mystérieusement à Jean après lui avoir échappé par miracle. Incroyable? Sans doute. Potentiellement risible? Parfois. Malsain? Assurément, mais de façon assez fascinante…
La première chose qui frappe, dans Sombre, le premier long métrage de Philippe Grandrieux, c’est l’impact presque physique des éléments qui le composent: la lumière (toujours étrangement éteinte); le son (curieusement étouffé); les cadrages (aux mouvements apparemment erratiques mais jamais arbitraires); et le montage (tout en coupes brutales, créant des ellipses déroutantes).
Avant même que l’histoire ait pu se mettre en place ou que l’on ait compris quoi que ce soit, on se retrouve dans la tête d’un fou, et on se sent déstabilisé, un peu agacé et progressivement intrigué, par le sentiment de voir un film qui exige notre abandon total pour nous faire vivre une expérience qui ne nous serait pas accessible autrement. Bref, par le choc de voir un film qui repose – c’est devenu une chose extrêmement rare – presque exclusivement sur des moyens propres au cinéma.
Ce monde étrange, c’est celui de Jean (Marc Barbé), un tueur en série qui assassine les femmes qu’il croise sur sa route, jusqu’au jour où il rencontre Claire (Elina Lowensohn), une vierge qui s’attachera mystérieusement à Jean après lui avoir échappé par miracle. Incroyable? Sans doute. Potentiellement risible? Parfois. Malsain? Assurément, mais de façon assez fascinante…
De fait, le pari de ce conte étrange, où la découverte du désir s’avère plus forte que la peur de la mort, est précisément d’outrepasser la psychologie et le rationnel, pour nous faire basculer dans le sensuel et le subconscient. Un pari audacieux (tant sur le plan esthétique que moral) que le film relève avec plus ou moins de bonheur.
Filmant sur le fil du rasoir, Grandrieux signe en effet une oeuvre dont l’extraordinaire recherche formelle n’est pas toujours couronnée de succès. Son formidable culot – le film embrasse franchement ses obsessions – fait que certaines scènes frôlent dangereusement le ridicule. Et le refus de toute psychologie est malheureusement accompagné d’un symbolisme on ne peut plus transparent (l’héroïne de Sombre s’appelle Claire, e Jean cache un déguisement de loup dans sa valise!).
Sorte de La Belle et la Bête expérimental pour adultes consentants, le film de Grandrieux est une oeuvre originale, courageuse et dérangeante. Qu’on l’aime ou pas – et son auteur n’a visiblement pas cherché à faire un film aimable -, Sombre marque le spectateur de façon indélébile. Malgré ses longueurs (et il y en a beaucoup…), il est difficile d’oublier ces cieux perpétuellement éteints, ces foules anonymes filmées à contre-jour, cette bande-son étouffée comme un grondement, ou ces visages d’enfants filmés dans la pénombre d’une salle obscure, où ils crient et s’amusent en voyant un spectacle de guignol.
À l’arrivée, on se souvient donc de Sombre moins pour son histoire (fragile et parfois risible), ou pour sa morale (douteuse et sûre d’en choquer plusieurs), que pour la force d’envoûtement avec laquelle Grandrieux a su nous plonger dans la tête d’un homme traversant un monde à la fois complètement anodin et parfaitement sombre.