Full Blast : À bout de souffle
Cinéma

Full Blast : À bout de souffle

Full Blast est un «film de jeunes» inégal mais intéressant, qui a comme principale qualité d’éviter presque tous les défauts du genre: pas de héros branchés, de cartes postales urbaines, d’effets tape-à-l’oeil et de montage épileptique.

Portrait âpre d’un groupe de jeunes adultes à la dérive, Full Blast, le premier long métrage de Rodrigue Jean, a au moins le mérite de se démarquer nettement des films québécois de son époque. Plus lent, moins structuré, assez sombre et témoignant d’une franchise sexuelle devenue rare dans notre cinéma, ce «film de jeunes» inégal mais intéressant a comme principale qualité d’éviter presque tous les défauts du genre: pas de héros branchés, de cartes postales urbaines, d’effets tape-à-l’oeil et de montage épileptique. À la place, une histoire simple (inspirée du roman L’ennemi que je connais de Martin Pître), filmée de manière assez sèche, qui raconte la misère d’une demi-douzaine d’amis tournant en rond dans un petit village de pêche du Nouveau-Brunswick…
Il y a d’abord Steph (David La Haye) et son ami Piston (Martin Desgagné), qui se retrouvent sans argent et sans travail quand une grève vient temporairement fermer la scierie locale. Il y a ensuite Marie-Lou (Marie-Jo Thério), l’ex de Piston et la soliste des Lost Souls, le petit groupe rock qu’ils ont formé ensemble. Il y a aussi Rose (Louise Portal), la maîtresse de Steph, qui passe son temps entre le bar où elle travaille et l’appartement où elle vit avec son fils adulte (Daniel Desjardins), qui est toujours écrasé devant la télévision. Et il y a finalement Charles (Patrice Godin), le baroudeur qui avait quitté le village et dont le retour et la séduction vont venir mêler les cartes…
Mais l’intérêt du film est ailleurs que dans le scénario honnête mais sans plus de Rodrigue Jean et Nathalie Loubeyre. Il réside surtout dans des qualités de mise en scène (l’attention portée aux personnages, un regard quasi documentaire, l’ancrage dans une réalité sociale), qui faisaient jadis la force de nos films mais qui ont aujourd’hui presque disparu de notre cinéma. Des qualités que l’on retrouve dans la photo de Stefan Ivanov, la manière dont elle aborde l’espace, les visages et les corps; dans la richesse de la bande sonore, qui mêle la musque de Robert Marcel Lepage, les dialogues et des bruits d’ambiance en un environnement sonore subtil mais omniprésent; et dans les performances sans faille que livrent presque tous les acteurs du film (en particulier David La Haye, qui trouve ici l’un de ses meilleurs rôles, et Marie-Jo Thério et Louise Portal, habitant complètement des personnages qui auraient facilement pu frôler le cliché).
Bien qu’il ait été tourné au Nouveau-Brunswick, Full Blast est un drame si étrangement coupé du temps et de l’espace (il pourrait se dérouler n’importe où et à n’importe quelle époque…) qu’il évoque irrésistiblement le cinéma québécois d’un autre âge: celui de films plus sauvages et aux aspérités intéressantes, comme, par exemple, L’Hiver bleu ou Bulldozer. Ses qualités et défauts contribuent à en faire un objet singulier qui est — malgré ses incontestables longueurs et sa dispersion narrative – assez original et vivant.

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