Erin Brockovich : Eau distillée
La réalité n’est pas un cadre formel, et STEVEN SODERBERGH s’en amuse en réalisant Erin Brockovich, une méga-production de qualité.
Dans Erin Brockovich, Julia Roberts, divorcée et mère de trois enfants, cherche un emploi. Forçant la porte d’un avocat au bord de la retraite, Ed Masry (Albert Finney), elle tombe sur un dossier compromettant: le chrome utilisé par l’entreprise PG&E, de Hinckley en Californie, contamine l’eau de la région et cause de graves maladies. En 93, Erin et Ed ont réuni 600 plaintes et ont poursuivi la compagnie. PG&E a déboursé 333 millions $ en faveur des victimes, soit le plus gros montant jamais alloué dans une poursuite directe aux États-Unis. C’est du vrai, du solide: «David contre Goliath et toute sa famille», résume Albert Finney.
On se retrouve donc dans une intrigue identique à celle d’A Civil Action, avec une héroïne qui a la fougue humaniste de Norma Rae et le look d’enfer de Melanie Griffith dans Working Girl. Là où l’on attend une ode au courage, à l’Amérique des petits conquérants, un long plaidoyer larmoyant et poussif, on découvre une surprise plus agréable: Steven Soderbergh est aux commandes, et cela paraît. Sans flagrante originalité, le film s’avère pourtant habile et construit avec finesse. Soderbergh n’est pas paresseux, il a mis le «fait vécu» à sa main!
Les producteurs de Jersey Films (Pulp Fiction, entre autres) ont orchestré la machine autour d’un regard; celui de l’auteur (et de son directeur photo Ed Lachman). Chaque fois que l’on sent le film s’aventurer vers des chemins conventionnels, que l’on se surprend à chercher l’oeil du réalisateur de Sex, Lies and Videotapes, d’Out of Sight et de The Limey, son style revient par une ellipse adroite dans le montage ou au détour d’une scène de séduction. Soderbergh rattrape toujours le curieux qui veut le coincer. Tour de force, il a même construit un film sur une poursuite en évitant les scènes de procès!
Comme toujours, Soderbergh s’amuse de l’image projetée, prêt à dérouter le spectateur et à freiner son jugement de valeur: Erin, mère dévouée et employée zélée, ne se défait jamais de son look anti-Ally McBeal (et Julia Roberts, présente dans chaque scène, ne manque pas d’aplomb); et son amoureux, George (toujours méconnaissable Aaron Eckart), cheveux longs, tatouages et Harley, est en fait une nounou hors pair. Personnages articulés, plans qui respirent, lumière crue, désert sale avec une usine pour tout horizon: Soderbergh, maniaque de la forme, a pris tout ce qu’il pouvait pour construire son épopée américaine.
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