Ghost Dog, The Way of the Samurai : Le Pigeon voyageur
Cinéma

Ghost Dog, The Way of the Samurai : Le Pigeon voyageur

Réalisateur culte, JIM JARMUSCH propose sa version du film de gangsters, très zen évidemment. Entre les malfrats, les oiseaux et le sabre, Forest Whitaker s’impose.

Cinéaste zen, Jim Jarmusch aime l’intangible, le transitoire, l’invisible. De Stranger than Paradise à Dead Man en passant par Mystery Train, ses personnages ont toujours été des étrangers traversant des mondes étranges, tantôt en touristes, tantôt en prisonniers, mais toujours comme des morts en sursis, des quasi-fantômes…

On ne s’étonne donc pas de le voir aujourd’hui suivre les traces du héros de Ghost Dog: The Way of the Samourai, un tueur à gages noir au service de la mafia italienne, qui vit selon les règles des anciens guerriers japonais. Un personnage que Jarmusch (joint par téléphone, cette semaine, à New York) décrit comme «une sorte de Don Quichotte qui a passé sa vie à préparer sa mort.» Bref, un drôle de héros pour un drôle de polar que son auteur qualifie de «film de samouraï-gangster-hip hop-Est-Ouest». Mais encore?

Ghost Dog (Forest Whitaker) est un tueur à gages qui vit entre deux mondes, sur un toit entouré de ses pigeons voyageurs, de ses disques de rap et de sa bible, l’Hagakure, le Livre du samouraï. Foncièrement bon et honnête, Ghost Dog est devenu tueur à gages pour rembourser sa dette envers un mafieux (John Tormey) qui lui avait jadis sauvé la vie. Mais lorsqu’un problème survient pendant l’exécution de son dernier contrat, Ghost Dog est soudainement condamné à mort par ses anciens patrons (un panthéon de tronches mafieuses dominé par Henry Silva). Il ne lui reste plus alors que son copain Raymond (Isaach de Bankolé), un vendeur de crème glacée français qui ne comprend pas un mot d’anglais, et la petite Pearline (Camile Winbush), une gamine qui lit Frankenstein et Rashomon. Restent aussi sa passion pour le rap (en particulier pour les compositions de RZA, membre du Wu Tang Clan) et les précieux enseignements du Livre du samouraï (dont des extraits apparaissent régulièrement à l’écran).

Pour Jarmusch, Ghost Dog… est un film sur «un homme qui incarne la transmission de la connaissance et de la sagesse dans une société qui ne respecte ni l’une ni l’autre; un être épris de passé, mais tourné vers l’avenir, dans un monde qui cultive le mensonge et l’oubli.» En somme, un personnage typiquement «jarmuschien», qui a d’ailleurs abordé cette oeuvre selon sa méthode habituelle. «Je commence toujours un film en prenant des notes au gré de mes lectures, de mes voyages, des disques que j’écoute. Au bout d’un an, je mets les morceaux ensemble, et c’est là que je vois si ça marche ou non (rires).»

Parmi les sources d’inspiration de Ghost Dog…, Jarmusch cite librement Don Quichotte et Frankenstein, l’influence de la culture hip hop et du gangster rap; et trois polars réalisés en 1967: Le Samouraï de Jean-Pierre Melville, Point Blank de John Boorman, et La Marque du tueur de Seijun Suzuki. C’est d’ailleurs à ce polar méconnu que Jarmusch admet avoir emprunté deux des scènes les plus mémorables de son film: celle où Ghost Dog rate une de ses cibles alors qu’un oiseau vient se poser sur le canon de son fusil; et celle où il atteint une de ses victimes en tirant à travers le tuyau d’un lavabo. Hommage ou plagiat?

«Godard disait: "En Europe, on appelle cela un hommage, et en Amérique, un plagiat." Dans ce sens-là, je me sens assez européen», explique Jarmusch en riant. «Pour moi, les références, les emprunts, ce sont des outils de laboratoire, des bases d’expérimentation. Ce n’est pas du collage, mais une autre forme de création.» Reste que les coutures de ce film sympathique mais inégal, intelligent mais un peu long, sont assez évidentes et parfois gênantes.

Ainsi, si l’on admire le jeu de Forest Whitaker (tout simplement parfait), la musique de RZA (souvent envoûtante) et la lumière de Robby Muller (savamment travaillée), on ne peut que déplorer les excès d’Isaach de Bankolé (qui en fait beaucoup dans un rôle inutile), la complaisance du montage (qui étire quelques scènes indûment) et la tendance de Jarmusch à abuser de ses bonnes idées, comme ces truands qui regardent constamment des cartoons à la télé.
Moins réussi que Down By Law, mais plus accompli que Dead Man, Ghost Dog… s’impose comme un Jarmusch moyen mais néanmoins intéressant. Un film plus musical, plus référentiel et plus ouvert que les précédents. «Pour moi, les films doivent être d’abord des propositions ouvertes au public. C’est peut-être naïf, mais j’aimerais qu’ils soient pratiquement des objets interactifs parmi lesquels les spectateurs pourraient choisir ce qu’ils ont envie de retenir; que cela permette un véritable échange avec le public.»
On retiendra de celui que nous propose Ghost Dog… quelques moments de grâce: les envolées d’un pigeon voyageur survolant New York sur un air de hip hop; la manière particulière dont notre héros rengaine son arme (en fendant l’air comme avec un sabre); et quelques aphorismes extraits d’un texte japonais qui donnent à cette épure l’air d’un autoportrait où le samouraï et le cinéaste livrent un seul et même combat.____
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