Le Petit Ciel : Pas très catholique
Le Petit Ciel , le premier long métrage de Jean-Sébastien Lord, est un film si surprenant, si éclaté et si inclassable que l’on comprend aisément que son auteur ait lui-même du mal à le présenter.
Le Petit Ciel
, le premier long métrage de Jean-Sébastien Lord, est un film si surprenant, si éclaté et si inclassable que l’on comprend aisément que son auteur ait lui-même du mal à le présenter. «Des années après avoir écrit le scénario, j’avoue que j’ai encore du mal à le décrire», explique le cinéaste de 27 ans. «Je ne sais pas quoi dire quand les gens me demandent si c’est un drame ou une comédie, un film réaliste ou fantaisiste. Pour moi, c’est une espèce de conte, mais un conte pour adultes, que j’ai essayé de rendre à la fois crédible, drôle et touchant.»
Jacques (Jocelyn Blanchard) est un brave type généreux et optimiste, qui gère Le Petit Ciel, un bar modeste autour duquel gravitent une bande de paumés sympathiques. Bien qu’il ait toujours cru avoir «une ligne directe avec le Ciel», Jacques a reçu un sale cadeau du bon Dieu: un cancer qui le condamne à mourir au moment où sa blonde, Sophie (Garence Clavel, de Chacun cherche son chat), s’apprête à accoucher. Heureusement pour Jacques, quelqu’un là-haut (Micheline Lanctôt) entend ses prières et les transmet à Qui de droit. Mais Dieu est à la retraite et le Ciel à l’abandon: Jésus (Julien Poulin) est un fainéant qui dort sur la job, Cupidon tire ses flèches n’importe où, et l’administration a si mal entretenu les lieux que le Ciel s’apprête à nous tomber sur la tête! Bizarre? Mettez-en…
Quoi qu’on pense du Petit Ciel (et ce film est si étonnant qu’on ne sait qu’en penser sur le coup), il faut lui reconnaître une ambition certaine, pas mal d’originalité et beaucoup de culot. En effet, ce n’est pas tous les jours que l’on voit un film québécois qui mêle conte philosophique, drame existentiel et comédie noire; qui embrasse à la fois le Ciel, la Terre et la Fin du monde (avec un maigre budget de 1,8 million de dollars!); et qui le fait de façon à la fois simple et originale, avec un Ciel en forme de cour à scrap, des conseillers célestes aux airs de sans-abri, et des déesses moins émues par les grandes actions que par le postérieur d’un homme! Pourtant, ce film étrange est né d’une image toute simple…
«L’idée de départ, explique le cinéaste, c’était l’image d’un ciel à l’envers, complètement décrépit. Mais je me suis vite rendu compte que ce n’était pas assez, qu’il me fallait autre chose. Alors, j’ai eu l’idée de suivre un personnage à la veille de mourir, qui oscillerait entre la Terre et le Ciel.» Cette histoire extravagante, Lord la raconte le plus simplement possible. «J’étais étonné quand les gens me demandaient comment on allait faire ça. Je leur disais "C’est simple: quand les gens du Ciel vont regarder en bas, on va voir en bas; et quand les gens de la Terre vont regarder en haut, on va voir en haut!" (rires) Je n’ai jamais pensé à utiliser des effets spéciaux. Je savais que pour que le film marche, il fallait que tout reste profondément concret et humain.»
Le premier film du cinéaste (un court métrage intitulé Les Noces de marbre) explorait déjà ce registre en racontant la romance de deux embaumeurs dans un salon funéraire. «J’ai toujours aimé l’idée de faire du Walt Disney avec quelque chose d’un peu morbide», explique-t-il en souriant. «Pour moi, le défi, c’est toujours de dire: >Oui, il y a la mort, la maladie et le reste, mais si on regarde les choses sous cet angle-là, elles prennent une tout autre coloration.>»
Le cinéaste a partiellement hérité cette vision singulière de ses parents: sa mère, l’actrice Lise Thouin, dont le travail auprès de jeunes en phase terminale a influencé l’écriture du scénario; et son père, le cinéaste Jean-Claude Lord, dont il partage le souci d’efficacité et le regard sur l’enfance. Mais n’allez pas croire que son nom ait facilité la production du projet. «Ça a pris plus de cinq ans du premier jet au produit fini. On est venus à deux doigts de commencer la préproduction trois années de suite! À la fin, on n’a pu le faire qu’en coproduction avec la France, avec un horaire de 21 jours de tournage, ce qui représente un défi incroyable.»
À l’arrivée, Le Petit Ciel est un film inégal mais détonant, vraiment singulier et souvent jouissif. Avec, côté qualités, un scénario extrêmement original, une vision profondément personnelle, et une réalisation étonnamment assurée (surtout compte tenu des contraintes de la production); mais aussi, côté défauts, un rythme qui s’essouffle par moments, des changements de ton parfois maladroits, et une tendance à trop souligner chaque effet. Ajoutez des décors et une musique qui évoquent – en mineur – le délire carnavalesque de Kusturica, et un ton qui oscille entre Forcier e Allen, et vous avez un ovni qui est d’autant plus sympa et attachant qu’il est fabriqué avec des bouts de ficelle. _«L’essentiel, pour moi, c’était que le film soit drôle, juste et émouvant. J’aime l’idée de faire des films qui ne portent pas de jugements sur le monde, mais qui s’affairent à le regarder sous un autre angle.» C’est en tout cas la grâce que l’on souhaite à l’auteur de ce premier film imparfait mais étonnant qui donne bigrement hâte de voir le second…
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