

The Map of the World : Perdre la carte
À la fois sincère et imbu de son statut de «drame pour adultes», The Map of the World donne l’occasion aux acteurs de mordre dans des rôles consistants. Mais, entre l’étude psychologique, le film de prison et le Court Drama, ce premier essai se perd en chemin.
Éric Fourlanty
«Dans les années 40, les adolescents allaient au cinéma pour voir des adultes s’aimer. Maintenant, ce sont les adultes qui vont y voir des ados faire l’amour», écrivait récemment un journaliste américain. Et ce n’est pas le vernis qu’on appliquera bientôt aux oscarisables The Green Mile et autres The Cider House Rules qui changera grand-chose à cet état de fait. Dans ce contexte hollywoodien où, dès qu’on ne montre pas un boutonneux se frottant à une tarte aux pommes, on signe un «film adulte, profond et sophistiqué», The Map of the World est révolutionnaire. Les personnages principaux sont des parents qui frôlent la quarantaine, qui vivent à la campagne, et se retrouvent aux prises avec la mort d’un enfant et des accusations d’abus sexuels. Rien pour émoustiller les 15-20 ans, et tout pour remplir une bonne heure d’Oprah, dont l’ombre plane au-dessus du film (on y parle même d’elle comme d’une bonne fée…).
Citadins devenus fermiers, Alice (Sigourney Weaver) et Howard (David Strathairn) se débattent dans leur bonheur tranquille, entre la traite des vaches, un boulot prenant d’infirmière à l’école, et leurs deux adorables petites pestes. Jusqu’au jour où, lors d’un court moment d’inattention de la part d’Alice, l’une des deux fillettes de leurs meilleurs amis (Julianne Moore et Ron Lea) se noie dans l’étang de leur ferme. Désespoir, culpabilité, opprobre public, dépression nerveuse: c’est la déchéance, et, comme si ce n’était pas suffisant, Alice ira en prison, accusée d’abus sexuels sur un petit garçon de l’école. Contrairement à toute attente, c’est là qu’elle trouvera la force de remettre de l’ordre dans sa vie.
Même sans le savoir, on devine aisément que The Map of the World est tiré d’un de ces gros romans dont raffolent les Américains, dans lesquels des gens ordinaires sortent grandis d’un drame atroce auquel ils ont été confrontés. Ces fables entre le catéchisme et Guy Corneau donnent parfois de fort beaux résultats (The Bridges of adison County); mais, la plupart du temps, on a droit à des versions prédigérées, assorties d’une leçon de vie bien sentie (The Cider House Rules). Pourtant, Scott Elliott (metteur en scène de Broadway qui signe ici son premier long métrage) n’a pas édulcoré le roman de Jane Hamilton dont le film est tiré. La perte d’un enfant (et la culpabilité à vie, réelle ou non, qui s’ensuit) est une crainte de chaque instant pour quiconque en a, et The Map of the World ne nous épargne rien des conséquences multiples d’un deuil pareil. Y ajouter une affaire d’abus sexuels et un séjour en prison, ça fait beaucoup pour un seul film. D’où la sensation, surtout dans la dernière demi-heure, qu’il manque de nombreuses scènes à ce film parfois prenant, mais dont le rythme a de sérieux ratés.
Impériale, Sigourney Weaver joue à la perfection un rôle en or (qu’auraient pu tenir Meryl Streep ou Jessica Lange); Julianne Moore ferait pleurer et frémir le critique le plus endurci; et David Strathairn est remarquable dans la peau d’un homme qui, mieux vaut tard que jamais, se réveille. À la fois sincère et imbu de son statut de «drame pour adultes», The Map of the World donne l’occasion aux acteurs de mordre dans des rôles consistants. Mais, entre l’étude psychologique, le film de prison et le Court Drama, ce premier essai se perd en chemin.
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