Le Décalogue : Dix sur dix
Ce printemps, l’événement cinématographique nous arrive par l’entremise de la vidéo. Cet événement, c’est la sortie tant attendue du Décalogue de Krzysztof Kieslowski, la monumentale série de dix films tournés pour la télévision polonaise, que le regretté cinéaste — mort en 1996, à l’âge de 54 ans – avait conçus en s’inspirant librement des dix commandements.
Ce printemps, l’événement cinématographique nous arrive par l’entremise de la vidéo. Cet événement, c’est la sortie tant attendue du Décalogue de Krzysztof Kieslowski, la monumentale série de dix films tournés pour la télévision polonaise, que le regretté cinéaste — mort en 1996, à l’âge de 54 ans – avait conçus en s’inspirant librement des dix commandements.
Bien que cette oeuvre-somme (qui totalise près de dix heures de visionnement!) ait connu une vaste popularité en Europe, la plupart des cinéphiles nord-américains n’en connaissent qu’une petite portion: à savoir les deux téléfilms (Tu ne tueras point et Une brève histoire d’amour) qui – ayant fait l’objet de _«versions longues» _- ont eu droit à une sortie dans les salles de cinéma.
Or, si ces deux films sont intrinsèquement remarquables, ils ne trouvent leur plein sens qu’à l’intérieur de la tapisserie que forme l’ensemble (à la fois vaste et intimiste) du Décalogue: un réseau complexe d’échos, de correspondances et de destins entremêlés, qui lie les parcours d’une vingtaine d’habitants d’un immeuble de Varsovie, dont les sorts se nouent et se dénouent sous l’oeil d’un personnage mystérieux (Dieu? un sans-abri? le spectateur?) qui les regarde enfreindre inconsciemment chacun des dix commandements.
Dans Tu honoreras un seul Dieu, un mathématicien découvre que l’ordinateur dans lequel il a placé sa foi est impuissant à prédire un désastre. Dans Tu ne prononceras le nom de Dieu qu’avec respect, un médecin hésite à conseiller à la femme enceinte d’un mourant de se faire avorter du bébé qu’elle a conçu avec son amant. Dans Tu sacrifieras le jour du Seigneur, l’ex-maîtresse d’un homme marié l’appelle le soir de Noël pour qu’il l’aide à retrouver son mari disparu. Dans Tu honoreras ton père et ta mère, une jeune femme découvre une lettre de sa mère qui bouleverse sa relation avec son père. Dans Tu ne tueras point, le meurtre d’un chauffeur de taxi et l’exécution de son assassin déchirent un avocat tiraillé entre crime et châtimnt. Dans Tu ne feras pas d’impureté, un timide qui espionne sa voisine est confronté aux conséquences de son voyeurisme. Dans Tu ne voleras pas, une fillette devient l’objet d’une guerre affective entre sa mère et sa grand-mère. Dans Tu ne mentiras pas, une professeure d’éthique retrouve une jeune femme qu’elle avait refusé d’héberger pendant la guerre. Dans Tu ne convoiteras pas la femme de ton voisin, un ex-don Juan impuissant est persuadé que sa femme le trompe avec un autre. Et dans Tu ne convoiteras pas le bien d’autrui, deux frères cupides sont poussés à la folie par une collection de timbres rares qu’ils ont reçue en héritage…
Superbement écrit par Kieslowski et Krzysztof Piesiewicz (un avocat qui construisait ses scénarios comme des plaidoyers impartiaux), Le Décalogue est une radiographie complexe des paradoxes de l’âme humaine, qui a l’élégance des récits de Schnitzler, la mélancolie des trios de Schubert, et la rigueur d’un regard qui a suscité l’admiration de Kubrick et invité des comparaisons avec Bergman. Oeuvre divine réalisée par un athée, cette méditation sur l’humanité et la foi (dont les dix épisodes furent complétés en une seule année!) fait douter de l’homme mais jamais du cinéma. Sa résurrection sur vidéo s’impose comme l’un des grands événements cinématographiques de l’année, et est un brillant rappel des commandements que tout cinéaste gagnerait à respecter.
Disponible en vidéo et DVD à partir du 2 mai