The War Zone : Pas de rescapés
The War Zone, la première réalisation de Tim Roth, bouleverse par son exploration d’une famille ravagée par l’inceste entre un père et sa fille.
Est-ce une coïncidence, ou bien le signe d’une affinité entre deux acteurs issus d’un même environnement? Toujours est-il qu’après avoir partagé la vedette de Rosencrantz and Guildenstern Are Dead (où ils jouaient des personnages que l’on prenait déjà l’un pour l’autre), Gary Oldman et Tim Roth sont passés à la réalisation en signant des films portés par un même acteur (Ray Winstone) et explorant tous deux – sur le mode vaguement autobiographique – les traumatismes de l’enfance.
Hasard? Peut-être… Mais si Nil by Mouth, le premier film de Gary Oldman, impressionnait par son portrait d’une famille déchirée par un père violent et alcoolique, The War Zone, la première réalisation de Tim Roth, bouleverse par son exploration d’une famille ravagée par l’inceste entre un père et sa fille. Et bouleverse est un faible mot, car ce film extrêmement dur (parfois à la limite de l’insoutenable) provoque un malaise aussi durable que profond…
Vaguement inspiré par le roman homonyme d’Alexander Stuart (qui l’a adapté en changeant plusieurs de ses éléments à l’instigation de Tim Roth), The War Zone raconte l’histoire d’une petite famille anglaise qui a troqué la cohue de Londres pour aller vivre sur les falaises pluvieuses du Devon. Dans la grisaille de ce décor battu par le vent, nous suivons la dérive existentielle de Tom (Freddie Cunliffe), un garçon de 15 ans, qui réalise que son père (Ray Winstone) trompe sa mère (Tilda Swinton) avec sa soeur (extraordinaire Lara Belmont), lorsqu’il surprend le père en train de sodomiser sa fille dans leur «nid d’amour» (un bunker de la Seconde Guerre, perché sur une falaise coupée du monde!).
Le film serait déjà dur s’il ne s’en tenait qu’à ça, mais Tim Roth va beaucoup plus loin: il ose (de façon à la fois audacieuse et troublante) dépeindre le père comme un monstre terriblement humain; il fait de la fille une adolescente traumatisée et malheureuse, mais aussi étrangement fascinée par le pouvoir de sa seualité; et il explore le trouble d’un garçon tiraillé entre la haine de son père, l’amour de sa soeur et l’éveil de ses pulsions sexuelles. Bref, Tim Roth rejette le manichéisme, la psychologie populaire et les solutions faciles du cinéma de CLSC, et plonge tête baissée dans un film aux sentiments si paradoxaux et inavouables, qu’à côté Happiness a l’air d’une comédie musicale…
Porté par d’excellents acteurs (Lara Belmont, en particulier, est une vraie révélation), The War Zone est aussi un film remarquable pour ses images en Scope (signées par Seamus McGarvey) et pour l’approche très singulière de sa mise en scène: un curieux mélange de naturalisme documentaire à la Ken Loach, et de paysages épiques filmés à la David Lean. Un peu comme si Family Life débarquait dans Ryan’s Daughter…
Film audacieusement âpre, discrètement léché, et promettant d’être chaudement débattu (bien qu’il semble remporter l’adhésion de la plupart des victimes d’inceste), The War Zone est une oeuvre impressionnante qui n’est toutefois pas sans défauts: le scénario n’est pas tout à fait à la hauteur du travail des interprètes et du réalisateur; l’esthétisme raffiné de l’ensemble confine parfois au maniérisme (comme dans le cas de la musique un peu trop précieuse de Simon Boswell); et l’ensemble est si rigoureusement gris, sombre et étouffant, que le film a quelque chose d’un peu artificiel et désincarné. Ces réserves n’enlèvent toutefois pas grand-chose à l’impact de ce film électrochoc qui émeut par son portrait de l’enfance comme une zone de guerre permanente, où l’ennemi appartient parfois à sa propre famille, et dont les blessures peuvent vous hanter toute la vie…
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