Gladiator : Bête de cirque
Ça faisait bien une quarantaine d’années qu’on attendait un gladiateur. En voilà un tout neuf, sorti tout droit de la machine à images de RIDLEY SCOTT. Péplum anémique, mais divertissement survitaminé. Faut que ça saigne!
Si l’on décrète que Spartacus appartient au XXè siècle, le marketing facile réclame aujourd’hui le gladiateur du XXIè siècle: plus grand, plus vrai, plus sanglant. Le héros nouveau débarque enfin dans l’arène, annonçant le premier blockbuster de la saison estivale: Gladiator, de Ridley Scott. L’exceptionnel faiseur d’images de Blade Runner, d’Alien et de 1492 s’est, encore une fois, laissé emporter par le grandiose. Il a voulu Rome et il l’a eu. Parti d’un simple geste, celui du pouce vers le bas, signe de la mise à mort ordonnée par l’empereur romain aux gladiateurs, Scott a bâti son fantasme en deux ans, centrant la centaine de millions, les recherches historiques et les décors sur un lieu (l’arène) et un homme (le gladiateur).
L’homme en question s’appelle Maximus (Russell Crowe), il est général en chef des armées romaines. Il découpe du barbare dans toute l’Europe, pour la grandeur de Rome et celle de son empereur mourant, Marcus Aurelius (Richard Harris). Maximus ne rêve que de rejoindre femme et enfant, mais Aurelius meurt, faisant de Maximus le nouvel empereur. La chose ne plaît pas à Commodus (Joaquin Phoenix), fils légitime et ambitieux, qui ordonne l’assassinat du général et de sa famille, et se couronne de lauriers. Maximus échappe à la mort. Devenu gladiateur, il est le roi de l’arène, sous les ordres de Proximo (Oliver Reed, décédé juste à la fin du tournage). À coups de glaive, Maximus fait la reconquête de son honneur perdu, avec l’aide d’une ancienne flamme, Lucilla (Connie Nielsen), soeur de Commodus.
Pas besoin de sortir son latin pour embarquer dans le péplum; il suffit d’une bonne histoire douloureuse; d’un récit houleux qui prend son temps. On veut des effets de toge, des larmes, des voyages, plusieurs histoires qui se croisent: celles d’un homme, d’un peuple et d’une morale; et, en prime, on ne dédaigne pas une oie blanche accrochée aux basques du héros. On veut de l’épique. Et c’est là, malheureusement, où le bât blesse avec Scott. Il st bien trop pressé. Il a laissé tomber l’épopée pour le personnel, le récit pour le visuel, la poussière pour le virtuel, plantant une maigre histoire dans des scènes de combat. Gladiator est une série de scènes. Les batailles se télescopent exactement comme dans un jeu vidéo, où le héros grandit en force et en «énergie» à chaque degré. Entre chaque boucherie, la mise en scène est celle de l’impatience, parce qu’il faut bien broder. Et tous ces plans coincés (avec puissants violons à l’appui), séquences qui sont du domaine des sentiments et de l’explication (avec de bien tristes dialogues d’ailleurs) sont d’une banalité formelle surprenante: désir à trois sous, entre Lucilla et Maximus; délire à la Caligula d’un jeune empereur; servilité machiavélique des sénateurs; rancoeur d’un ex-gladiateur; amitié inter raciale avec Juba (Djimon Hounsou); et souvenirs larmoyants du bonheur perdu de Maximus. Le film ne fonctionne que par à-coups et collisions frontales, sans nuances aucune, sans l’imaginaire des scènes de batailles de Spartacus, ni les déchirements cornéliens de Ben-Hur.
Ici, le parallèle avec la lutte devient si évident que cela en est presque gênant. On avait compris que les jeux de cirque servaient à endormir les foules en période de décadence impériale; mais avoir autant de moyens et de talents pour accoucher d’un emballage cadeau pour la WWF est très frustrant. Enfin, l’envie de jouer avec les nouvelles technologies est, une fois plus, impérieuse; et toute «l’humanité» du film se trouve à la merci de ce réalisme virtuel. Le tournage a beau avoir eu lieu au Maroc, à Malte et en Angleterre, le ciel de Rome, entre sept collines de synthèse, a le rougeoiement des cieux de La Menace Fantôme.
Et pourtant… On reste cloué sur son siège durant les batailles. Chorégraphies violentes, avec le sang qui gicle, les têtes qui roulent, les chevaux qui hennissent, les tigres (plutôt doux) qui feulent, et le chrome des casques et des glaives. Les 15 premières minutes sont, de ce point e vue, d’une efficacité redoutable: la bataille entre armée romaine et barbares germaniques rappelle l’entrée de Saving Private Ryan avec une caméra qui frôle le galop des chevaux, une image de plus en plus irréelle et haletante, un montage électrisant, une forêt incendiée et un héros glorifié. Ce héros, d’ailleurs, s’en tire très bien, avec sa peau de bête et ses yeux non moins bestiaux. Présent dans la plupart des scènes, Crowe a le magnétisme d’un Richard Burton (dans Cléopâtre) et joue le héros solide atteint de mutisme, ce qui rend encore plus fragile la nervosité larmoyante des autres. Bref, on râle, on râle, mais on s’écrase toujours avec un peu de pain et beaucoup de jeux…
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