Joe Gould’s Secret : Artistes de rue
Sir Ian Holm fait partie de ces acteurs qui traversent les films avec autant de justesse que d’effacement. Quel que soit le genre (Alien, Chariots of Fire, Henry V, The Sweet Hereafter), il va au bout du rôle avec talent, grâce et humilité. C’est un truc britannique, genre botte secrète de la Royal Shakespeare Company. Dans Joe Gould’s Secret, il campe un clochard grandiose, entre Falstaff et Socrate, et joue l’un des grands rôles de sa carrière.
Sir Ian Holm fait partie de ces acteurs qui traversent les films avec autant de justesse que d’effacement. Quel que soit le genre (Alien, Chariots of Fire, Henry V, The Sweet Hereafter), il va au bout du rôle avec talent, grâce et humilité. C’est un truc britannique, genre botte secrète de la Royal Shakespeare Company. Dans Joe Gould’s Secret, il campe un clochard grandiose, entre Falstaff et Socrate, et joue l’un des grands rôles de sa carrière.
L’histoire est belle, de celles qui engendrent les fables. Elle est aussi véridique. On assiste à la rencontre entre Joseph Mitchell (Stanley Tucci), écrivain renommé au New Yorker dans les années 40, et Joe Gould (Holm), écrivain bohème et philosophe. Le premier cherche des histoires dans les rues de New York; le second déclare être l’auteur de «L’Histoire orale de notre temps», transcription de centaines de conversations, compilées pendant des années, avec remarques et essais sur le genre humain. Mitchell a fait un portrait de Joe Gould, paru en décembre 1942 sous le titre de Professor Seagull (Gould décrétait qu’il savait aussi parler aux mouettes…); il a ensuite écrit Joe Gould’s Secret, paru en 1964, à la mort de Gould. Et les deux histoires ont été publiées dans un livre, Up in the Old Hotel.
Cet ouvrage est un des livres de chevet de Stanley Tucci. Et qui d’autre que Tucci, acteur, mais aussi réalisateur de plus en plus respecté, pouvait mettre ce projet en images? Cette histoire explore visiblement tout ce que Tucci aime, dans une période qui lui est chère, les années 30 et 40. Après Big Night et The Impostors, Joe Gould’s Secret se regarde comme un troisième volet sur New York, une incursion plus intime et moins bruyante. Moins émouvant que le premier, moins comique que le second: Tucci a travaillé une mise en scène rigoriste et épurée, pour obtenir simplicité et subtilité.
Joe Gould’s Secret, c’était quand les hommes portaient tous des chapeaux, quand l’artiste était au sommet de l’élite sociale, et quand la ville forçait les ens à s’entraider. On peut traiter Tucci de nostalgique et d’enjôleur, mais il ne serait pas le seul: on retrouve dans son film l’amour inconditionnel pour sa ville, et cette façon faussement détachée de filmer le même groupe de gens, devenu groupe grâce à la cité, qu’ont Woody Allen, dans ses meilleurs moments, et Wayne Wang avec Smoke ou Blue in the Face. Et Mitchell et Gould sont deux piliers de la ville: l’un solide, uni à une famille heureuse (avec sa femme, la photographe Thérèse Mitchell – Hope Davis – et leurs deux fillettes) et l’autre, dilettante, sans domicile fixe, vivant de «dons» pour le «Joe Gould’s Fund», avec ses amis, notamment une propriétaire de galerie, Vivian Marquie (Patricia Clarkson) et la peintre Alice Neel (Susan Sarandon).
Tucci a eu l’intelligence et le talent de construire un Manhattan – et plus précisement Greenwich Village – , d’ombres et de lumières, donnant un rendu presque noir et blanc à ses images. Les humains s’y croisent dans des plans vifs comme des instantanés de WeeGee, ou prenants comme des portraits de Diane Arbus. Et chaque scène est réglée comme sur un tableau d’Edward Hopper: le bonheur familial se résume au rouge ruisselant de morceaux de pastèque mangés avec délice, un soir de chaleur…
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STANLEY TUCCI: Entrevue en trois mots…
Une époque: «J’aime le look statique des années 40, à une époque où New York me paraissait plus intime et moins énorme, où tous les quartiers semblaient différents et où l’on respectait l’individualité de chaque groupe. J’essaie de ne pas être nostalgique, ou disons de ne pas être romantique à propos de la nostalgie, et de ne pas en faire le sujet principal de mes films. Avant ne veut pas dire meilleur, c’était pas mal plus dur. Enfin, ça dépend, ce n’est pas beaucoup mieux aujourd’hui…»
Stanley Tucci, réalisateur de Big Night et de The Impostors, trouve que Joe Gould’s Secret est son meilleur flm. Pas si nostalgique que cela, il est en train d’écrire un scénario contemporain qui se passe dans les environs de New York.
Une histoire: «Joe Gould’s Secret n’est pas simplement une bonne histoire, c’est le récit d’un processus de création sur les gens qui créent: on examine ceux qui examinent! Je trouve que l’étude de monsieur et madame Tout-le-monde par les artistes, et par les écrivains en particulier, est tout à fait fascinante.»
Un petit rôle: «Je ne voulais pas jouer le rôle de Mitchell, mais une de ses filles et la femme qui était avec Mitchell à la fin de sa vie m’ont dit que je lui ressemblais, alors…»