Time Code : Choix multiple
Imaginez quatre films de 93 minutes chacun, projetés en même temps sur un seul écran divisé en quatre. C’est le pari que relève brillamment Time Code, de Mike Figgis, composé de quatre plans-séquences, tournés en temps réel, par autant de caméras vidéo digitales.
De La Comtesse aux pieds nus à Magnolia, en passant par Short Cuts ou Le Violon rouge, les intrigues entrecroisées, découpées, emmêlées, déconstruites sont la base même du cinéma, médium de montage qui fait croire qu’une suite d’images et de séquences mises bout à bout raconte une histoire continue. Et sans parler du cinéma expérimental, qui n’essaie même pas de faire croire à une quelconque continuité… Après le flash-back, le montage parallèle, le flash forward, et j’en passe, voici revenu le temps – 30 ans après Woodstock – des écrans simultanés, cette fois-ci pour une fiction. Imaginez quatre films de 93 minutes chacun, projetés en même temps sur un seul écran divisé en quatre. C’est le pari que relève brillamment Time Code, de Mike Figgis, composé de quatre plans-séquences, tournés en temps réel, par autant de caméras vidéo digitales.
En haut, à gauche, nous avons une femme jalouse (Jeanne Tripplehorn), espionnant, avec un micro caché, sa blonde (Salma Hayek), actrice qui doit auditionner pour un producteur (Stellan Skarsgard) avec qui elle a une liaison. En haut, à droite, l’épouse du producteur (Saffran Burrows) chez sa psy, qui va voir son mari au travail pour lui annoncer qu’elle le quitte, qui pleure dans les toilettes, puis prend un verre chez une jolie comédienne sortant d’une audition pour le mari en question. En bas, à gauche, un masseur californien (Julian Sands) arrive pour tripoter lesdits producteurs pendant une réunion. Et en bas, à droite, on suit un réalisateur faisant passer des auditions pour cette même maison de production, et qui découvrira, dans la blonde infidèle du début, l’actrice qu’il cherche. Vous me suivez? Ajoutez à ça un garde de sécurité cocaïnomane, un agent d’artistes qui passait par là (Kyle MacLachlan), une productrice émotive (Holly Hunter), et quelques illuminés, et vous avez un patchwork digne de The Player. Après quelques légers tremblements de terre, seuls événements communs aux quatre histoires ces 93 minutes dans la vie d’une poignée de Californiens se termineront par une mort d’homme. Oui, mais lequel?
Ça a l’air compliqué, mais, passé les cinq premières minutes nécessaires pour saisir les règles du jeu, on s’habitue très vite à ces intrigues superposées, à cet enchevêtrement d’images et de son; d’autant plus que la bande sonore, privilégiant l’un ou l’autre des écrans, guide aussi bien l’oeil que l’oreille. Cette facilité à reconstituer des morceaux épars, à «faire du sens» avec des images disjointes, met bien en relief nos réflexes de téléspectateurs gobant plusieurs émissions en même temps, notre pensée moderne qui zappe d’une image, d’une idée, d’une sensation à l’autre à une vitesse inconnue il y a 30 ans. Bien que doté d’une esthétique proche de celle de l’école Dogma – caméra à l’épaule, lumière naturelle, improvisation – , Time Code est à l’opposé du minimalisme prôné par le collectif danois. La multiplication des écrans et des situations relève d’une boulimie visuelle plus proche des stratégies télévisuelles visant à garder le spectateur captif que du désir du cinéaste de le rendre plus actif.
Stimulant dans le premier tiers du film, ce procédé révèle assez vite les limites de l’expérience de Figgis, car, si le réalisateur de Leaving Las Vegas innove dans sa façon de raconter ses histoires, celles-ci ne brillent pas par leur originalité. Et le coup de théâtre final, convenu et mélodramatique, n’arrange rien à l’affaire… Cela dit, l’approche musicale du cinéaste (également compositeur de la trame sonore) sert bien son propos; et sa direction d’acteurs fait parfois des merveilles, particulièrement dans le cas de Jeanne Tripplehorn, qui, avec son visage à la Catherine Allégret, nous tient en haleine pendant une heure et demie.
Exercice de style où la forme l’emporte sur le propos, Time Code a au moins le mérite d’explorer de nouvelles avenues, en tentant de rafraîchir le cinéma traditionnel par des préoccupations plus souvent associées aux nouvelles technologies. l ne reste plus qu’à avoir quelque chose à dire…
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