L’Empereur et l’Assassin : Invitation au voyage
À l’heure des méga-productions qui oublient d’être de vraies fresques, voici L’Empereur et l’Assassin, une saga épique et émouvante; un grand moment de cinéma de la part d’un artiste visionnaire.
S’il avait été produit par Hollywood, un film de l’ampleur de L’Empereur et l’Assassin ne serait pas passé inaperçu. Il aurait coûté dix fois plus cher, les milliers de figurants auraient été digitalisés, et on aurait tout su des états d’âme et des humeurs de Gong Li sur le plateau. Mais ce n’est pas le cas, et le film de Chen Kaige nous arrive sans tambour ni trompette. C’est pourtant un drame historique épique, une de ces fresques monumentales dont on dit «qu’on n’en fait plus des comme ça». Question de moyens financiers, mais aussi de vision et d’acharnement. Le réalisateur d’Adieu, ma concubine et de Temptress Moon a fait ses devoirs: plusieurs années de recherche pour porter à l’écran une épopée vieille de plus de 2000 ans, «une approche shakespearienne», selon les mots du cinéaste, de l’unification de la Chine, période pleine de bruit et de fureur, d’idéalisme et de trahisons, de combats sanglants et de serments d’amour.
Au IIIe siècle avant Jésus-Christ, le roi de Qin (Li Xuejian), à la tête d’un des sept royaumes qui forment la Chine d’alors, entreprend d’unifier le pays. Malgré la promesse faite à Dame Zhao (Gong Li), qu’il aime depuis l’enfance, de réaliser son rêve sans bain de sang, le monarque ne deviendra le premier empereur chinois qu’après neuf ans de combats meurtriers, les autres provinces refusant ce roi qui veut leur bien. En cours de route, Dame Zhao trouvera un assassin repenti (Zhang Fengyi) afin de fomenter un faux complot d’assassinat contre le roi. Celui-ci cédant à sa folie sanguinaire et à sa soif de pouvoir, elle se retournera contre lui, et tentera de le faire éliminer.
Résumer les presque trois heures de L’Empereur et l’Assassin en quelques lignes équivaudrait à expliquer en quelques mots la plupart des grandes tragédies shakespeariennes. À l’instar des intrigues du grand Will, celle du film de Chen Kaige possède son lot de manigances stratégiques, d’alliances politiques déguisées en serments d’allégeance, et de barbaries commises au nm de la raison d’État. Mais on y trouve également des amants tragiques, des enfants illégitimes, des familles carnassières, des larmes d’amour, de rage, de tendresse et de haine. Sans compter les batailles rangées dans des plaines venteuses, des villes assiégées par le fer et le feu, et des combats singuliers.
La bataille d’ouverture, le siège de la ville de Zhao, le complot avorté de l’amant de la reine mère, l’affrontement final dans le palais impérial: hormis la magnificence des moyens déployés, L’Empereur et l’Assassin séduit le spectateur occidental par la découverte que ce dernier y fait d’un pan d’histoire méconnu de ce côté-ci du globe, et celle des deux acteurs principaux (Gong Li, plus connue, est toujours aussi magnifique), interprètes forts et nuancés de personnages bien écrits. Le mandarin des dialogues (sous-titrés en anglais ou en français, au choix), le raffinement des décors et des costumes, et la minutie de la reconstitution historique participent à un exotisme dépaysant qui ravit autant l’oeil que l’esprit.
Cela dit, ce film fastueux est d’un classicisme à toute épreuve, beau livre d’images parsemé de scènes explicatives, placées là pour le bénéfice d’Occidentaux peu familiers avec une tranche d’histoire truffée d’intrigues aussi enchevêtrées que celles qui jalonnèrent la création de la Grande-Bretagne. N’évoquant que de très loin le Ran de Kurosawa, L’Empereur et l’Assassin n’en a pas le souffle tragique, se contentant d’alterner sagement séquences épiques et moments plus intimes. Mais on serait bien mal venu de faire la fine bouche devant ce spectacle somptueux, où l’on réalise que 5000 figurants en chair et en os provoquent un frisson autrement plus réel que celui que pourraient engendrer des foules issues de logiciels… De plus, quelques scènes très fortes (une jeune aveugle qui se suicide devant celui qui vient d’assassiner sa famille, le roi de Qin apprenant qui est son vrai père, Dame Zhao déterrant les enfants de sa ville natale, etc.) font de cette oeuvre magstrale une denrée devenue rare: une épopée à la Cecil B. De Mille, portée par de vrais personnages. Grandiose.
Sous-titres anglais (Égyptien)
Sous-titres français (Quartier-Latin)
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