Small Time Crooks : Génie en sursis
Cinéma

Small Time Crooks : Génie en sursis

WOODY ALLEN filme plus vite que son ombre. À peine Sweet and Lowdown disparu, que voilà Small Time Crooks: une oeuvre banale, sans accroche ni aboutissement, avec clichés énormes et morale poussiéreuse. C’est Woody en pente douce…

Est-ce que Woody Allen se réveille la nuit avec des angoisses existentielles, se demandant pourquoi il fait un bon film sur trois depuis 1990? Probablement pas. Small Time Crooks arrive quelques mois après Sweet and Lowdown, une petite chose charmante, mais beaucoup moins envoûtante et habile qu’un air de Django. On avait pris ça pour un amuse-gueule, en attente du plat principal. Il est arrivé… et on n’a rien mangé.
Comme toujours, on s’installe dans les accords jazzistiques sur fond noir. Cette inaltérable entrée en matière a tout de la mise en condition, un automatisme pour passer, attentifs, dans le monde de Woody. Ce monde-ci, c’est celui de Ray (Allen), un petit malfrat, gueulard et hâbleur, marié depuis 20 ans à Frenchy (Tracey Ullman), esthéticienne et ex-danseuse. Ils vivent dans un minuscule appartement, mangent des spaghettis-boulettes et rêvent d’argent. Ray décide de voler une banque en passant par un tunnel, depuis une «façade\»: une boutique de cookies, avec Frenchy aux fourneaux. Ray est entouré de ringards de la pire espèce: Denny (Michael Rapaport), Tommy (Tony Darrow) et Benny (Jon Lovitz). Et ils se font aider par la cousine de Frenchy, May (excellente Elaine May). Le casse échoue, mais pas les biscuits: Frenchy accumule les succès avec ses talents de cuisinière et, au bout d’un an, devient richissime. Le couple habite dans les beaux quartiers. Mais pendant que Ray rêve de Floride pépère, Frenchy veut les mondanités et la classe. Elle paye donc David (Hugh Grant) pour qu’il lui apprenne les bonnes manières. Et la débandade commence…
Et pourtant, le début est joyeux: Woody Allen en bermuda et baskets s’engueulant vertement pendant 5 minutes avec Ullman laisse présager un film tonique. La présence de ses potes déclenche chaque fois la rigolade, et l’excavation du tunnel qui culmine par un dégât d’eau vaut le coup, rien que pour la tête de Jon Lovitz. On baigne dans le slapstick, le sens de la répartie, le goût du rdicule, la rapidité de réaction: c’est Allen-Groucho entouré des 3 Stooges. Or, dès que le couple-vedette devient riche, les ahuris disparaissent, le ton s’endort, et le film s’égare dans une fable très banale. Restent deux nouveaux riches confrontés aux WASP de l’Upper East Side. Versace contre Armani, et bière tablette contre Château Yquem.
Que Woody Allen soit aigri, c’est son problème; qu’il décide d’envoyer les humains au diable vauvert, c’est son droit; mais qu’il balance un tel ratage, ce n’est vraiment pas du jeu. Dans son sujet d’étude, toujours une approche incisive d’un milieu new-yorkais, Allen ne laisse plus place à l’observation. Il mitraille sans regarder et filme en fermant les yeux. Sans mettre en cause son droit légitime à la méchanceté (les pauvres types, les ringardes, les mondaines et les fats peuvent bien tous dormir à la même enseigne), on peut contester ce dédain de plus en plus amer avec lequel il manipule une histoire. L’humanité entière n’a plus ni intérêt, ni discours, ni imagination, ni ambition, ni rêve? Soit. Après avoir testé les humains dans tous les genres cinématographiques, il les plonge dans la grosse farce. D’accord. Woody Allen a toujours craché dans la soupe, mais il le faisait avec génie. Dans Small Time Crooks, il semble fatigué de l’homme et de sa fiancée et ne fait plus l’effort de mettre en scène des dialogues percutants dans la bouche d’acteurs solides et bien dirigés. Il balance des clichés de plus en plus plats sur le bon et le mauvais goût, sur l’imperméabilité des classes et sur une morale bébête. Comme s’il était arrivé à l’étape ultime de l’autodénigrement ou, plus vil, comme si l’ermite en lui se moquait de «viser juste», ne s’accommodant que de on-dit et de discussions de salons sur la lutte des classes. Ça commence à ressembler à du Jean-Pierre Mocky…
Dans les pires cas, on peut toujours se dire que l’épuisement d’un génie, comique ou autre, permet d’affiner le mythe; histoire de dégager les grandes lignes et de mettre au jour les travers. Mai faudrait pas pousser! Allen n’a plus le goût du risque et, dans un dérapage de plus, il vient de se planter lamentablement.

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