Swing in Beijing : Le tempo chinois
Cinéma

Swing in Beijing : Le tempo chinois

Un foetus de sept mois, lové contre la tête d’un vieil homme, cadavres réels posés sur un lit rempli de glace: c’est une des installations-chocs que l’on peut voir dans Swing in Beijing, de Shuibo Wang, qui s’est fait connaître l’an dernier alors que Sunrise Over Tiananmen Square était en nomination pour l’oscar du meilleur court métrage documentaire.

Un foetus de sept mois, lové contre la tête d’un vieil homme, cadavres réels posés sur un lit rempli de glace: c’est une des installations-chocs que l’on peut voir dans Swing in Beijing, de Shuibo Wang, qui s’est fait connaître l’an dernier alors que Sunrise Over Tiananmen Square était en nomination pour l’oscar du meilleur court métrage documentaire.

Après dix ans passés à Montréal, le cinéaste est donc retourné en Chine, avec une caméra vidéo numérique, afin de rencontrer plusieurs jeunes artistes pékinois. Le sujet est fascinant, et, même si le film est un peu trop bavard (à quand une copie sous-titrée en français?), ce qu’on y découvre est surprenant. Un peintre mêlant académisme traditionnel et femmes nues; des musiciens punk clamant haut et fort leur nature asiatique; un metteur en scène de théâtre adaptant Dario Fo; un cinéaste primé en Occident, mais méconnu dans son pays; une sculpteure travaillant sur l’avortement, et défendant la politique familiale officielle, qui ne permet qu’un enfant par famille (avec une population d’un milliard trois cents millions, le problème se pose autrement qu’ici…): ces créateurs ont en commun de ne pas être réduits au cliché de l’artiste muselé par la censure d’État.

Alors que l’Occident ne s’intéresse aux artistes chinois que lorsque leur production se débat avec la censure (voir les démêlés entre le Festival de Cannes et le gouvernement chinois), Swing in Beijing va plus loin, donnant la parole à des hommes et à des femmes aux prises avec l’autocensure (comme partout ailleurs), mais aussi avec des questionnements – artistiques, sociopolitiques, etc. – qu’on retrouve dans le monde entier. Revendiquant son histoire, et s’abreuvant aux grands courants mondiaux de l’art moderne, cette nouvelle génération protéiforme s’éclate, mais veut rester lucide. Un metteur en scène de théâtre déplore le conservatisme de plusieurs artistes; un sculpteur souligne l’insalubrité de nombreux bâtiments de Pékin (il a pourtant conçu un projet autourde la démolition d’un vieux quartier); et une vidéaste remarque avec ironie que les conservateurs occidentaux choisissent souvent son travail pour paraître radicaux.

À mi-chemin entre un regard occidental et une vision de l’intérieur, Wang montre bien que la Chine n’est pas à l’envers de notre monde, elle est ailleurs; plus complexe, plus contradictoire, plus nuancée que les images d’Épinal dont les grands médias nous abreuvent. Qu’il s’agisse du communisme ou du capitalisme, cette génération marquée par le massacre de Tiananmen n’embrasse plus les grandes idéologies les yeux fermés, sans pour autant mettre Mao et Coke dos à dos. L’Ouest n’est plus démonisé, mais il n’a plus l’attrait qu’il a pu exercer sur la génération précédente. Ironie du sort, de nombreux artistes déplorent que leur travail soit plus connu en Occident que dans leur propre contrée, situation qui, insidieusement, peut orienter leur production. Comme quoi, là-bas comme ici, nul n’est prophète en son pays… Le grand défi qui attend les créateurs chinois d’avant-garde, c’est justement de faire le pont avec le public chinois, de lui tendre un miroir dans lequel il pourra se reconnaître, se découvrir, se questionner. N’est-ce pas là la fonction de l’art?

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