Grass : Herbe folle
Cinéma

Grass : Herbe folle

À la fin de Grass, documentaire sur la marijuana de Ron Mann, on prévient qu’aucun hippie n’a été blessé lors du tournage. Tel est le ton gentiment irrévérencieux et ironique collé à un problème épineux qui frise l’absurde: la guerre orchestrée depuis un siècle aux États-Unis contre la marijuana.

À la fin de Grass, documentaire sur la marijuana de Ron Mann, on prévient qu’aucun hippie n’a été blessé lors du tournage. Tel est le ton gentiment irrévérencieux et ironique collé à un problème épineux qui frise l’absurde: la guerre orchestrée depuis un siècle aux États-Unis contre la marijuana. Joint au téléphone, le réalisateur torontois (déjà fasciné par la culture pop avec Comic Book Confidential et Twist) est parti d’une réflexion: «Il y a 70 millions de personnes aux États-Unis qui fument de l’herbe; ces gens ne sont pas tous des marginaux, ils travaillent fort, et ont des familles. Pourtant, ils sont traités comme des criminels. L’année dernière, il y a eu 6000 arrestations et on a dépensé 70 milliards $ dans les années 90 dans une guerre inutile contre la marijuana. Je voulais retracer l’histoire, les origines de ces aberrations prohibitionnistes.»
Mann a choisi le bon ton et on rigole souvent durant le film. Selon un découpage par périodes (années 20, 30, 40, 70, etc.), des cartons très BD annoncent les différentes mises en garde de l’État contre les méfaits de la drogue: la mari rend fou, empoisonne les autres, conduit à l’héroïne, etc. «Et encore, je n’ai pas mis la carte de 1982 qui disait que la marijuana pouvait rendre les gens homosexuels!» s’amuse Mann, visiblement ravi de son film, malgré une censure ontarienne vite levée (20 secondes du film où l’on voit des singes cobayes en train de fumer). Les propagateurs de cette guerre, politiciens, flics ou journalistes, sont tournés en dérision: les faux sourires de Nixon, les ânonnements de la presse, Reagan qui parle de perte de mémoire (!) et Gérald Ford qui ne parvient pas à descendre un escalier sans s’affaler… Le tout est raconté par Woody Harrelson, acteur et fumeur de pot actif.
L’intérêt du film réside dans la guérilla toujours troublante entre la raison d’État (et son racisme latent) et le plaisir de la liberté individuelle. À chaque époque, l’herbe a stigmatisé un «ennemi» (l’alcool prohibé, les communistes, leshippies) et, depuis la création du Federal Bureau of Narcotics, les lois se sont durcies, toujours plus sévères que les effets d’une drogue dont le danger n’est pas encore clairement affiché à ce jour. Grass est donc le succédané d’un siècle de joints, joyeusement accompagné d’un excellent choix musical (de One Take Over the Line à Cocaïne), et d’un déluge d’archives de propagande et de films, de Reefer Madness (1936) à Cheech and Chong. Si le film est riche en aberrations historiques et en portraits de politiciens sournois, il reste faible quant à la période actuelle. Les années 80 et 90 sont bâclées en quelques minutes. «Exact. J’ai voulu suggérer que les choses arrivent à un point de saturation, que Clinton a accéléré la guerre contre la drogue et qu’encore plus d’argent sera jeté au feu. Et puis, les films d’archives récents sont très coûteux!» lance Mann, persuadé que tout maintenant peut exploser, comme le mur de Berlin, en faveur de la légalisation.
Réalisateur engagé, il a voulu un film politique. «Je veux que les collégiens le voient, non pour qu’ils fument, mais pour qu’ils se politisent; qu’ils comprennent que les discours de l’État sont souvent totalement irrationnels.» Pour la libre expression dans un pays libre: Mann sait qu’il prêche à quelques convertis.

Au Cinéma du Parc
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