Présence autochtone 2000 : Présence proche
Cinéma

Présence autochtone 2000 : Présence proche

De plus en plus riche et à la programmation cinéma fouillée, le festival Présence autochtone 2000 est une lunette d’approche autant pour les curieux que pour les cinéphiles. Aperçu d’un festival à jour.

Le festival Présence autochtone de Terres en vues apporte chaque année la même impression un peu étrange, qui oscille entre admiration, agacement et culpabilité: l’impression d’appartenir d’un seul coup à un pays beaucoup plus vaste et beaucoup plus ancien. La culture dite conquérante devient soudainement une parmi les autres, forcée à l’humilité devant l’aberrationde l’ordre chronologique (oui, ils étaient là avant), mais surtout devant le gigantisme: celui des mots (combien de dialectes dans les trois Amériques?), celui des espaces géographiques, celui des dimensions spirituelles, et celui — endémique – des problèmes de société. Et depuis 10 ans, ce festival porte bien son nom de Présence.
Ce festival fête aussi les 25 ans de la société Makivik, entreprise de développement du Nunavik, et les 20 ans de l’institut Avataq, l’organisme culturel du Nunavik: des chiffres symboles, mais importants, qui viennent démontrer, entre autres, que la culture inuit ne s’est pas arrêtée aux sculptures en pierre à savon, si chères au président français.

À ce titre, la programmation cinéma est riche et actuelle, avec près de 70 films. Et elle débute par un long métrage efficace, simple et intelligent: Heater, du Canadien Terrance Odette. Un étrange road movie à petite échelle, dans le froid hivernal de Winnipeg, où deux clochards au gabarit de Laurel et Hardy s’apprivoisent et cheminent ensemble le temps d’une journée. L’entraide, la survie, la faim, les crises de folie et de désespoir, et le rejet muet de la population: Heater passe par toute la gamme sans pour autant déclencher de larmes. Plus finement, le film joue sur le sentiment de culpabilité désespérante face à l’absurdité d’une situation: celle des sans-abri et, sans que jamais on ne le formule, celle des sans-abris amérindiens. Gary Farmer (Dead Man) et Stephen Ouimette forment un tandem traditionnel et équilibré (bien plus juste que celui de Joyeux Calvaire): le plus massif est calme et réfléchi, facilement amusé. Le plus minceest fébrile, gueulard et sérieusement fêlé, avec sa chaufferette sous le bras qu’il veut vendre à tout prix. C’est un film à la narration fluide, qui ne compte pas son temps (voire qui s’éternise dans certaines scènes). Bref, le genre de production qu’on aimerait voir plus souvent et qui devrait faire un tour en salle… Innovateur aussi ce film de Jorge Manzano, Johnny Greyeyes, sur l’amour entre deux femmes autochtones, avec la prison et la violence au coeur de la réalité autochtone pour décor.
Du nord au sud, les peuples amérindiens mêlent depuis toujours fantastique et réalité, un bagage oral que l’on peut aisément transposer en film; mais qui dépasse rarement l’anecdote et la naïveté. Cette année, on peut voir People of the Woods, de Bridget Wabegijig; Legends Sxwexwxwiy’am, d’Annie Frazier Henry, adaptation dramatique d’un mythe ancestral; ou The Strange Case of Bunny Weequod, de Steve Van Denzen, sur les créatures légendaires des Ojibway. À remarquer: un petit film d’animation de 13 minutes du Vancouver Film School (Dawn of Creation, de Simon Daniel James) qui relate un des mythes ancestraux sur la création du monde – un corbeau dérobe le soleil au loup et dès lors, chaque nuit, le loup pleure à la lune, regrettant sa lumière perdue. Un film d’animation bien dessiné et intelligemment découpé, avec une jolie légende à la clé.
Avec Blossoms of Fire, les réalisatrices américaines Maureen Gosling et Ellen Osborne se sont penchées sur la célèbre communauté des Zapotèques, du Sud de l’État d’Oaxaca, célèbre parce qu’elle fonctionne sur la base du matriarcat et ce, depuis l’époque des conquistadors! On peut voir aussi un film sur le photographe Edward S. Curtis, Coming to Light, d’Anne Makepeace, photographe ayant contribué à construire au début du siècle une «vision romantique» des Indiens, avec pagnes et plumes.
Un programme spécial est consacré à la région du Nunavik avec, en primeur, un film sur une histoire d’amour véritable entre une Écossase et un Inuit: Idylle au Nunavik, de Bernard Beaupré. Côté documentaires, les portraits méritent l’attention, même s’ils ne sont pas d’une grande originalité formelle (basés essentiellement sur des entrevues). À découvrir: l’histoire d’Annie Smith St-George (Kwékanamad: Le vent tourne, de Carlos Ferrand), une Algonquine qui, peu après le suicide de son fils aîné, rêve de construire un centre national des arts autochtones en plein coeur d’Ottawa. Une mission impossible dans la capitale, mais sa ténacité naïve reste touchante. Même approche pour Ojigkwanong: Rencontre avec un sage algonquin, de Lucie Ouimet (un autre court métrage de la nouvelle collection Libres courts de l’ONF), sur William Commanda, chef suprême du premier gouvernement de la nation d’Amérique du Nord.
Le plus émouvant reste souvent le plus simple: le réalisateur cri Paul Rickard part en quête de ses racines dans Finding my Talks. Dans un documentaire malhabile, presque timide, il part à la recherche de sa langue, comme s’il partait en croisade avec sa caméra. «Je veux savoir» semble être le leitmotiv de ce film. On découvre plusieurs façons de parler et de sauvegarder la langue; ainsi une vieille mamie au Yukon s’acharne à transmettre le tiglit, et une jeune femme passionnée s’émerveille du progrès des enfants dans une école maternelle où l’on enseigne le mohawk, à moins de deux kilomètres du centre-ville de Montréal…

Du 12 au 21 juin
Info-festival: (514) 813-1435
www.NativeLynx.qc.ca