Judy Berlin : Blues de banlieue
Premier film qui dégage un charme certain, Judy Berlin, d’ERIC MENDELSOHN, offre une variation nuancée sur les angoisses existentielles des banlieusards. L’Amérique moyenne dans toute son irréelle banalité…
Gagnant du Prix du meilleur réalisateur, décerné au dernier Festival de Sundance, Eric Mendelsohn a écrit et réalisé un premier long métrage qui, comme de nombreux premiers films, a les qualités de ses défauts. La nuance avec laquelle le cinéaste expose les situations tombe parfois dans la banalité; la sobriété du récit sombre quelquefois dans un mécanisme de scénarisation 101; et le style épuré de l’ensemble n’échappe pas toujours à une forme de maniérisme. Cela dit, Judy Berlin a un charme certain, et offre une nouvelle variation sur le thème rebattu des angoisses existentielles banlieusardes, jumelant le regard ethnologique de The Ice Storm au sens du spectacle d’American Beauty. Chronique nuancée, Judy Berlin n’a pourtant pas la précision implacable du premier ni le cynisme flamboyant du second. Cette étude d’une classe moyenne américaine de fin de siècle à l’heure des bilans est esquissée sur un mode mineur – on est quand même très loin de Happiness…
Lors d’une éclipse solaire qui s’éternise, dans la petite banlieue de Babylon, en périphérie lointaine de New York, qui se prépare à la rentrée scolaire, quelques êtres humains se demandent ce qu’ils font sur la Terre. Cinéaste en devenir, revenu vivre chez ses parents pour cause de dépression, David Gold (Aaron Harnick) croise Judy Berlin (Edie Falco), qu’il a connue à l’école, et qui part le jour même pour Los Angeles, tenter sa chance comme actrice. Les parents du Orson Welles en gestation forment un couple usé: elle (Madeline Khan), reine du foyer doucement neurasthénique, se prenant pour un personnage de Twilight Zone dans les rues désertées de Babylon; lui (Bob Dishy), directeur d’une école primaire, confusément attiré par une enseignante faussement cynique (Barbara Barrie), mère distante de Judy Berlin. On croisera également une maîtresse à la retraite qui n’a plus toute sa tête, quelques élèves dans la lune, des amis d’enfance qui traînent dans les centres d’achats, et une femme de ménage compatissane et sage. Une galerie d’individus sans destins exceptionnels, des personnages qui, une fois n’est pas coutume, ont presque tous autour de la cinquantaine…
Réalisé par un jeune cinéaste, qui fut assistant aux costumes pour plusieurs films de Woody Allen, Judy Berlin n’est pourtant pas une analyse post-baby-boomers ou un Manhattan banlieusard, comme l’ont avancé un peu vite quelques critiques américains en mal de repères. C’est un film à contre-courant qui combine la sobriété de ton et la pauvreté de moyens traditionnellement associées au cinéma indépendant, à un contrôle minutieux des images, propre à une génération ayant étudié la grammaire du cinéma et ses classiques. En particulier, la musique intimiste du violoniste Michael Nicholas et le noir et blanc tantôt fantomatique, tantôt documentaire de Jeffrey Seckendorf qui baignent le film d’une mélancolie insolite. Si cette maîtrise du visuel traduit bien l’irréalité de la banalité des banlieues (un peu comme Kubrick qui, en faisant reconstruire les décors les plus anodins, rendait une cuisine, un coin de rue, un magasin étrangement irréels), il confine également les personnages à un rôle de marionnettes entre les mains du réalisateur tout-puissant.
Il faut reconnaître qu’Eric Mendelsohn a du style, et qu’il est un brillant dialoguiste. Sans mots d’auteur, sans tirades grandiloquentes ni pseudo-réalisme, il parvient à donner un langage propre à ces femmes et à ces hommes, perdus dans leurs propres vies. Voir les échanges entre les parents du cinéaste dépressif, ou la scène, superbe de retenue et de précision, au cours de laquelle le directeur d’école fait des avances plus qu’hésitantes à une enseignante qu’il côtoie pourtant depuis des décennies. Le genre de moment qui vous laisse un sourire un peu triste aux lèvres…
Il fallait, bien sûr, avoir des acteurs solides pour que des phrases telles que: «Est-ce que vous comprenez bien que je ne sais pas ce que je veux dire?» aient l’air naturelles. Et Mendelsohn les a trouvés. Dotés, pour la lupart, d’une solide expérience théâtrale, ils sont de cette trempe d’acteurs ayant travaillé toute leur vie sans jamais connaître la gloire des premiers rôles. Bob Dishy et Barbara Barrie, en particulier, font des merveilles avec peu; et Madeline Khan, dont c’était le dernier rôle, est aussi émouvante que drôle dans la peau d’une femme ordinaire, qu’on sent habitée par d’autres mondes.
Petit détail pratico-pratique qui a son importance: est-ce la copie du film ou le projecteur défectueux du Cinéma du Parc? Toujours est-il que les dialogues si justes de Judy Berlin sont à peine audibles, la bande-son étant encombrée de parasites particulièrement bruyants. Et on n’est pas dans un film de Godard…
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