Fantasia : Les derniers milles
Fantasia 2000 s’achève bientôt. Cinq jours et une vingtaine de films pour faire le plein d’images tantôt ridicules, tantôt dérangeantes. Découvertes, déceptions et coups de coeur: un vrai festival, quoi!
Plus que cinq jours pour Fantasia 2000, le temps de faire le plein d’histoires tordues, d’images horrifiantes, de personnages déments, possédés ou morts-vivants. Bref, une vingtaine de films dérangeants (certains pour de bonnes raisons, d’autres beaucoup moins), grâce auxquels vous verrez La Grenouille et la Baleine ou Chantons sous la pluie d’un autre oeil…
Avant le film de clôture, le lundi 31 juillet sera consacré aux projections supplémentaires. On pourra revoir, entre autres, Albator le film, collage de cinq épisodes de la célèbre série, diffusée à Radio-Canada à la fin des années 70; et I.K.U., le techno-porno de l’artiste underground japonaise Shu Lea Shang, pour lequel on a refusé une centaine de personnes à l’Impérial, lors de la première projection.
D’ici là, deux films japonais retiennent l’attention, tous deux ayant pour personnage central une jeune femme profondément blessée, et qui se vengera de manière particulièrement atroce. Après Gonin, présenté l’an dernier à Fantasia, Takashi Ishii revient avec Freeze Me, un Portier de nuit nippon qui dégénère en boucherie. Cinq ans après que trois hommes l’eurent violée dans sa petite ville natale, une jeune femme vit à Tokyo, gentil fiancé et bon boulot. Mais les trois violeurs resurgissent, prétendant avoir vendu des vidéocassettes du viol, et exigeant de la jeune femme qu’elle les serve, de la cuisine au lit, et du lit à la cuisine. Honteuse et terrorisée, elle obéira, jusqu’à ce qu’elle achète des congélateurs industriels…
Présenté, dans le programme du festival, comme un «cinéaste féministe» (?!), Ishii se complaît plutôt dans l’étude entomologique de la terreur, épinglant son actrice à l’écran à coups de gros plans de regards apeurés, au détriment, parfois, de toute crédibilité. Craintive devant ce passé qui refait surface, d’accord; honteuse d’un crime dont elle a pourtant été la victime, ça peut encore se concevoir; mais on ne croit pas une seconde à cette flle atteinte du syndrome de Stockholm, ce lien sadomaso qui peut exister entre un bourreau et sa victime. De plus, à partir du moment où la prisonnière fait livrer un congélateur géant pour y entreposer le cadavre d’un des violeurs, Freeze Me devient un banal thriller d’horreur. La vengeance est un plat qui se mange froid, mais celui-ci est encore congelé…
Beaucoup plus maîtrisé, Audition montre un veuf qui, décidant de se remarier, fait passer des auditions à de jeunes comédiennes. Il tombe amoureux fou de l’énigmatique Asami, jeune fille sage qui cache, en fait, une blessure si profonde qu’elle l’a transformé en monstre de torture, aussi précis que sanguinaire. Le futur époux en aura pour son argent… Ici, pas de giclées d’hémoglobine, de tripes déversées et de cervelles répandues: on est dans l’horreur psychologique, l’esthétisme visuel et le raffinement oriental. Alors que Dead or Alive, le précédent film de Takashi Miike, démarrait sur les chapeaux de roues pour se calmer ensuite, Audition prend le chemin inverse. La première heure est d’une banalité affligeante, alors qu’hormis l’exotisme de la langue japonaise, on a l’impression de voir défiler un téléfilm américain – petit montage vidéoclipé des auditions, intrigue ordinaire et Japon moderne où l’on mange à la fourchette. Puis le mystère s’installe, le malaise aussi, et la séquence finale est à la limite de l’insoutenable. Âmes sensibles, s’abstenir. Le traitement erratique qui, dans Dead or Alive, donnait à croire que le film avait été réalisé par plusieurs personnes est ici redoutablement efficace, la surenchère finale au terme d’une histoire somme toute banale faisant écho au secret bien caché du personnage principal, et à sa douleur transformée en haine à l’état pur. Dérangeant.
Présenté en première mondiale, Ricky 6 s’inspire de la saga de Ricky Casso, un ado de l’État de New York qui, au début des années 80, tua un copain, prétendant que Satan le lui avait ordonné. Arrêté alors qu’il ‘enfuyait en Californie avec son meilleur ami, le garçon se pendra dans sa cellule… Petite ville proprette, ados désoeuvrés, gelés à la mescaline, système démissionnaire, horizons bouchés et attirance pour le satanisme: ce premier film de Peter Filardi (scénariste de Flatliners et de The Craft, toute une référence…) avait tout pour être un croisement entre Kids, My Own Private Idaho et The Exorcist. Malheureusement, il a tellement épousé son sujet que le film a l’air d’avoir été réalisé par un gamin de 16 ans! Scénario linéaire, développements qui traînent en longueur, scènes interminables de partys de sous-sol: Ricky 6 n’inquiète pas, séduit encore moins et ne parvient jamais à être autre chose que la chronique télévisuelle d’un fait divers. Dommage, le comédien principal, Vincent Kartheiser, avec sa tête à la Bud Cort des années 2000, a ce qu’il faut d’ingénuité bizarroïde pour faire vivre ce personnage trouble. Hélas, le film ne suit pas.
Les films thaïlandais sont si rares sur nos écrans qu’on manque de points de comparaison. Même Fantasia n’avait jamais présenté de productions du royaume du Siam. C’est chose faite avec Nang Nak, de Nonzee Nimibur, succès énorme dans son pays d’origine, inspiré d’une légende thaïe. Vers la fin du XIXe siècle, un beau guerrier part au combat, laissant sa femme enceinte. Lorsqu’il revient, après avoir frôlé la mort, il retrouve son épouse, leur bébé, et mène une vie idyllique dans leur petite maison au bord de l’eau. Ce qu’il ne sait pas, c’est que lors de son absence, sa femme est morte en couches, donnant naissance à un enfant mort-né, et qu’il vit avec leurs fantômes. Les villageois, horrifiés par la situation, se chargeront de le lui apprendre, provoquant sa colère et celle de son épouse morte.
Mélange d’Excalibur, pour l’aspect merveilleux avec lequel la nature est traitée; de Tristan et Iseult, pour le lyrisme effréné de cette histoire d’amour plus fort que la mort; et d’Histoiresde fantômes chinois, pour le surnaturel qui se fait une place toute naturelle dans le quotidien, Nang Nak est une belle oeuvre tranquille. Superbement photographié, déroulant son intrigue avec assurance et aisance, bercé par le chant mélodieux de la langue thaïe, ce film romantico-fantastique réconcilie avec un genre qui, depuis La Belle et la Bête, est trop souvent traité avec cynisme ou lourdeur. Une belle découverte.
Jusqu’au 31 juillet
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