Léa : Romantisme allemand
Premier film de l’Allemand YVAN FILA, Léa ressemble aux contes qui, enfants, nous donnaient des cauchemars, mais qu’il fallait toujours relire: une histoire aussi triste que belle, aussi sérieuse que rédemptrice. Un récit de frères Grimm très très déprimés…
Une enfant fait monter un cerf-volant dans le ciel; un homme arrive, lui balance une claque et coupe la corde du cerf-volant. Dès la première scène de Léa, on comprend que l’espoir aura, dans ce film, une durée de vie limitée. Embarquons donc dans une immense tristesse, mais surtout dans un film solide qui laisse transpirer quelques émotions suaves, savamment dosées.
Pas mal pour un premier film. Bien sûr le dosage est très calibré: Yvan Fila, réalisateur allemand, se lance dans la mise en scène avec une rigueur appuyée, où tout semble calculé au millimètre près. Mais en choisissant le conte pour épauler sa fiction, et même s’il a du mal à s’évader de cette grille convenue, il ne s’est pas trompé de cadre. Les règles ancestrales du genre collent à merveille à cette histoire moderne, inspirée d’un étrange fait vécu. En 1993, à Hambourg, meurt une jeune femme, des suites de coups donnés à la tête quand elle était enfant. À l’âge de 7 ans, la petite Léa perd sa mère dans des circonstances troubles et, depuis lors, elle a rédigé 876 poèmes et 916 lettres à sa mère morte: des écrits magnifiques retrouvés dans une cachette, avec l’urne des cendres maternelles entourée de cierges. Pendant des années, un facteur livrait le courrier à l’adresse de la «tombe». L’énigme fut découverte à la mort de Léa. Sur cette histoire déjà infiniment romantique, Yvan Fila a brodé une romance où les tourments conjugués parfois s’apaisent: Le père bat sa fille, viole et tue sa femme. L’enfant martyre devient une très belle jeune fille muette (Lenka Vlasakova), pâle comme Blanche-Neige, soumise comme Cendrillon. Elle écrit de la poésie à merveille et joue divinement du violon. Léa est vendue par son père adoptif à Herbert, ancien légionnaire allemand un rien tortionnaire (Christian Redl), devenu restaurateur de meubles. On comprend que le mari violent a ses propres démons, dont il se soulage en s’entraînant au tir. Rageur, il devient jaloux quand il apprend que Léa envoie parfois jusqu’à 45 lettrespar jour à une adresse inconnue… En faisant traduire en allemand les poèmes slovaques de sa femme, Herbert perce le secret. Entre le mari bourreau et l’épouse victime, les confessions seront libératrices, déclenchant illico le sentiment amoureux. Si le prince charmant a tout de l’ogre, il ne manque plus que la baguette à la bonne marraine: Hanna Schygulla est la douceur même en traductrice slovaque. Toujours déesse de la féminité, elle reste sensuelle comme un chat et fine comme une mouche.
Dans ce film, la gentillesse arrive cependant comme une incongruité et, chaque fois, cette porte ouverte déclenche des bouffées d’émotion. Bien sûr, ces «instants libérateurs» sont servis en doses homéopathiques, lâchés au point précis où la noirceur s’enlise et pourrait, avec elle, entraîner la motivation du spectateur! Mais ces instants fugaces, attendus et prévisibles, n’en sont pas moins amenés avec finesse. Au milieu de ces tons de terre, de bois, de boue anthracite, de collines brumeuses, de ciel bas et de lumière blafarde, émerge le sourire de Léa. Un bouquet de roses sauvages représente le comble de la délicatesse et une mini caresse livre une bonne charge érotique. En fait, ce film ressemble à un vieux livre sans cesse relu: on tourne des pages et des pages d’écriture monotone et, tout d’un coup, l’oeil s’attarde sur une image, soignée et évocatrice. On retient une silhouette frêle qui détale dans la neige, un château délabré, des visages qui épient en silence, un village moyenâgeux digne de Hänsel et Gretel, le vacillement de centaines de chandelles sous la terre. Ce film a reçu de nombreux prix lors de sa présentation dans de multiples festivals. Compréhensible: outre une évidente beauté plastique, une mise en scène maîtrisée, et malgré l’épouvantable bruit de verre cassé qui sert de fond sonore, il est difficile d’échapper au vrai romantisme quand il est bien mené.
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