Wonderland : Au jour le jour
Cinéma

Wonderland : Au jour le jour

Essai de rigueur et d’ascétisme stylistique pour le réalisateur anglais MICHAEL WINTERBOTTOM, dans une chronique familiale, douce et amère, mais sans misérabilisme.

Un monde merveilleux, promet le titre. En fait, si vous êtes du genre à voir, dans un verre à moitié vide, un verre à moitié plein, vous reconnaîtrez là le doux chant de l’optimisme. Si ce n’est pas votre cas, vous pourrez rebaptiser le film «Awful-land». Non, rien de dramatique. Que le simple quotidien. Ce quotidien qui n’a pas toujours bonne mine, celui-là même qu’on aimerait oublier en allant au cinéma. Et voilà qu’un cinéaste nous ressort cette petite routine que l’on pense assommer à grands coups de divertissements. De prime abord, on peut trouver l’exercice banal mais, à bien y penser, il est vrai que toute cette agitation a quelque chose de merveilleux.

Le Britannique Michael Winterbottom propose avec Wonderland son sixième film en quatre ans. Après moult détours, le voilà arrivé au chapitre de la réalité de tous les jours. Imprévisible, sa carrière cinématographique s’accélère mais n’en dit pas davantage sur le style exact de ce cinéaste. Il a commencé par nous amener dans les jupons des tueuses en série (Butterfly Kiss), a tâté du film d’époque et de l’adaptation de classique (Jude), a versé une larme de bons sentiments sur un conflit politique (Welcome to Sarajevo), avant de s’essayer au film noir (I Want You) et à la comédie romantique (With or Without You):
un parcours étourdissant qui a peut-être suscité chez le cinéaste le goût de la simplicité. Et ici, la sobriété dévoile parfois des charmes insoupçonnés. Caméra à l’épaule, pellicule 16 mm, éclairage naturel, équipe réduite, micros dissimulés, absence de décors, refus des figurants, improvisation bienvenue: un véritable remède de cheval que s’est imposé le réalisateur véloce. C’est bien simple, dans Wonderland, le cinéma semble avoir subi une cure de désintoxication. Un style Nouvelle Vague ou Dogma 95? Peu importe, un style dépouillé. À l’écran, l’image gonflée en 35 mm présente un grain gros comme un pois, de quoi vous faire languir du fini lisse à la hollywoodienne. Même que l’épuration de la forme semble avoir joliment ontaminé celle du contenu.

Le propos est donc fort simple: un week-end dans la vie de six membres d’une même famille londonienne, dévoilé selon une structure en épisodes, façon Short Cuts de Robert Altman. Ailleurs, on aurait candidement présenté papa ours, maman ours et leurs quatre oursons sirotant leur jus d’orange matinal avant de vaquer à leurs occupations. Ici, seuls les parents vivent sous le même toit. Le fil les unissant est le faible tracé de leur arbre généalogique. Des parents aigris tissent une haine mutuelle dans un appartement exigu, se renvoyant quotidiennement la responsabilité du départ de leur dernier rejeton. Leurs trois autres filles semblent mener une existence normale, mis à part une carence affective qu’elles traînent comme un bagage génétique.

À elles trois, elles représentent l’univers des possibles au féminin: Nadia (Gina McKee) la célibataire esseulée, Debbie (Shirley Henderson) la monoparentale amère et Molly (Molly Parker) la femme au foyer, enceinte jusqu’aux dents. Et, curieux hasard, elles éprouvent toutes du mal avec la gent masculine. Un tel bilan du sexe fort ne pouvait que porter la griffe d’une femme, se dit-on: la scénariste d’origine française, Laurence Coriat, a tenté ici un portrait de famille bien actuel qui a l’avantage de ne souffrir d’aucun misérabilisme. Une qualité qu’on peut aisément relier à son refus de dramatisation. Même que parfois, on connaît des moments de pure grâce, notamment lorsque la musique de Michael Nyman (La Leçon de piano) se confond avec la douce mélancolie des personnages. En somme, la force de Wonderland réside dans une justesse de ton et une humanité fragile qui le projettent bien au-delà de la simple chronique quotidienne. Un film qui ne révolutionne certes rien, mais qui a le mérite de traiter de la vie simplement et avec poésie.

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