After Life : Morceaux choisis
Entre Orphée et La Rose pourpre du Caire, After Life, du cinéaste japonais HIROKAZU KORE-EDA, est autant une histoire hollywoodienne qu’un vibrant hommage au cinéma. Paradoxal et séduisant.
Si vous deviez n’en choisir qu’un, quel souvenir garderiez-vous de votre vie? Sur cette prémisse en forme de questionnaire de plage, comme ceux des magazines féminins d’été, Hirokazu Kore-Eda, cinéaste japonais de 37 ans, a bâti un film assez étrange, à mi-chemin entre l’épure nippone et le high concept hollywoodien.
Ça commence tout simplement dans un établissement qui ressemble à une maison de retraite filmée par Kieslowski. Nous sommes, en fait, dans les limbes, antichambre de l’au-delà, où une équipe dévouée est chargée d’accompagner les morts vers leur ultime destination, à l’aide d’entretiens au cours desquels ils devront choisir le souvenir qu’ils veulent garder dans l’éternité. Une fois celui-ci sélectionné, le moment, l’image, l’odeur et la sensation en sont «recréés» par l’équipe de bénévoles, puis le tout est filmé, et projeté aux morts, qui, cette fois-ci, disparaissent pour de bon.
Dans cette humanité en partance, il y a les petites vieilles: celle qui est béate devant un cerisier en fleurs; celle qui se souvient avec exactitude du goût d’une boulette de riz, juste avant le grand tremblement de terre de 1923; celle qui sourit en se revoyant petite fille, dansant en robe rouge. Il y a les hommes: celui qui raconte ses exploits avec les prostituées; le septuagénaire qui a eu un travail normal, un mariage normal, une vieillesse normale, et qui, une fois mort, constate la fadeur de son existence; un autre qui a des souvenirs remontant à sa première année de vie. Il y a une femme qui s’invente une histoire d’amour dans un hôtel de luxe. Il y a les jeunes: une adolescente marquée par sa visite à Disneyland; et celui qui, par principe, refuse de choisir, afin, dit-il, de prendre la responsabilité de sa vie. Ce que ne sait pas ce jeune philosophe branché, c’est que son refus de choisir le mènera à faire partie de l’équipe des guides, morts entre deux mondes, incapables de fixer une image pour l’éternité. Parmi ceux-ci, on retrouve un jeune homme, mort 50 ans plus tôt à la guerr, et une jeune fille amoureuse de lui. Tantôt badin, tantôt douloureux, un jeu de regards amoureux à sens unique s’installera, par-delà la mort…
Second film de fiction de Hirokazu Kore-Eda, cinéaste formé à l’école du documentaire, After Life démarre comme une chronique à la Depardon, avec une suite de témoignages filmés sobrement. Ne serait-ce de la situation, on pourrait se croire dans un documentaire nouvel âge sur des expériences spirituelles, qui font toutes dans le «small is beautiful». Ici, pas de joies extatiques, pas de douleurs grandioses, pas de moments déterminants. C’est un son précis, un instant fugace, un après-midi tranquille que choisissent ces futurs immortels. Une première partie qui, inévitablement, nous renvoie à notre propre vie: Et moi, quel souvenir garderai-je? En filigrane et en parallèle à cet exercice d’identification, se dessine finement la chronique du Japon d’après-guerre, des soldats morts à la guerre jusqu’aux adolescents bleachés d’aujourd’hui, de la tradition à l’occidentalisation.
Alors que la succession de confessions commence à lasser, After Life embraye la vitesse supérieure, et devient un autre film. Prenant comme matériau le tournage des souvenirs choisis, Hirokazu Kore-Eda dresse une belle métaphore sur le cinéma, son pouvoir et son intemporalité. Quoi de plus clair comme déclaration d’amour au septième art que cette équipe de cinéma s’affairant à reproduire sur pellicule un instant de la vie de simples mortels? Quoi de plus éclatant comme acte de foi dans le cinématographe que ces humains qui accèdent à l’éternité en passant littéralement de l’autre côté de l’écran? Entre Alice aux pays des merveilles, Orphée et La Rose pourpre du Caire, After Life est un voyage un peu paradoxal au pays des songes.
Paradoxal, car il conjugue l’approche minimaliste d’un sujet grave à l’efficacité scénaristique avec laquelle les cinéastes américains traitent ce genre d’histoires accrocheuses. La mise en scène de Hirokazu Kore-Eda, qui s’efface derrière son sujet; le teintes hivernales employées par les deux directeurs photo, Yutaka Yamazaki et Masayoshi Sukita, qui suggèrent un mystère de circonstance; et le refus du sensationnalisme rapproche After Life de la sobriété qu’on prête à un certain classicisme japonais. Par contre, la force et la simplicité du point de départ, et un développement linéaire qui, dans la première partie, verse parfois dans l’anecdotique, en font un candidat idéal pour une version hollywoodienne, dans la veine de Heaven Can Wait ou Defending Your Life.
Profitez-en pour voir l’original (sous-titré en français à Ex-Centris, et en anglais à l’Égyptien), avant que Robin Williams n’en fasse un remake!
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