Gouttes d’eau sur pierres brûlantes : Unions charnelles
Adaptation brillante d’une oeuvre de jeunesse de Fassbinder sur la difficulté de vivre à deux, Gouttes d’eau sur pierres brûlantes confirme le talent de FRANÇOIS OZON, un jeune cinéaste qui tourne vite et bien.
À 33 ans, François Ozon a déjà réalisé 4 longs métrages, 7 courts métrages, un moyen métrage et un documentaire, sans compter la trentaine de Super-8 qu’il tourna lors de ses études. Qu’est-ce qui fait courir Ozon? «Je suis d’une nature plutôt rapide, confie le cinéaste, rencontré lors du Festival des Films du Monde. Je trouve que ce sont les autres qui ne vont pas assez vite! Je ne fétichise pas les films. Je pense qu’il y a deux sortes de cinéastes: ceux de la maîtrise, comme Kubrick, et d’autres, plus dans l’instinct, comme Fassbinder, qui pouvait faire quatre films par an, qui acceptait que certains ne soient pas parfaits, et qui construisait son oeuvre sur la durée. Je me sens plus proche de ça.»
Dans l’Allemagne des années 70, Léopold, 50 ans (Bernard Giraudeau) et Franz, 19 ans (Malik Zidi), vivent ensemble, quotidien émaillé d’engueulades et de réconciliations. Deux fantômes du passé refont surface dans la vie de ce couple qui s’effrite: Anna, l’ex-fiancée du plus jeune (Ludivine Sagnier), et Vera (Anna Thompson), l’ex-chum du plus vieux, qui changea de sexe par amour pour cet homme qui, finalement, la quitta. À partir de ce quatuor de choc, François Ozon dresse un constat tragicomique sur le couple, cette drôle d’entité qui, plus souvent qu’autrement, résiste assez mal au temps…
Après Sitcom et Les Amants criminels, Ozon a donc choisi d’adapter cette pièce de Fassbinder, vision noire de la vie de couple, écrite à 19 ans et découverte après la mort du cinéaste, celui-ci la considérant comme non aboutie. «Ce qu’il y a entre les deux hommes était assez réussi, mais les relations avec les filles étaient plutôt ratées, notamment le personnage de Vera, dont j’ai fait un transsexuel, une idée que j’ai reprise de L’Année des treize lunes, où un homme change de sexe par amour pour un autre. D’habitude, on prend un homme déguisé en femme, mais je n’avais pas envie de tomber dans la caricature, parce que le personnage arrive à la fin. Ilfallait qu’on y croie tout de suite, et qu’il soit émouvant.»
Entre l’émotion à vif et l’étude entomologique, Gouttes d’eau sur pierres brûlantes est un film admirablement maîtrisé, et les comédiens, de Giraudeau, en viveur désabusé, à Anna Thompson, étrange et fascinante, sont tout à fait dans le ton. Ça donne un film surprenant, qui joue sur l’identification et la théâtralité, doté d’un humour grinçant et d’une bonne dose de lucidité. «Au début, je voulais faire un film sur la difficulté de vivre à deux, explique Ozon. J’ai commencé à écrire un scénario assez autobiographique, et puis, très vite, je me suis rendu compte que je n’avais pas assez de distance, que je tombais dans le pathos. Du coup, je me suis souvenu de cette pièce, où il y avait tout ce que je voulais exprimer. En même temps, c’était un moyen de rendre hommage à Fassbinder.»
Ouvre de jeunesse, cette impitoyable radioscopie de la vie conjugale fait déjà preuve du pessimisme et de la modernité du regard de son auteur. «C’est incroyable de penser qu’à cet âge-là, et à la fin des années 50, Fassbinder parlait d’homosexualité de cette façon-là. Ce n’est pas du tout montré comme un problème: on s’en fout que ce soient deux pédés, c’est d’abord un couple. Mais en situant l’action à la fin des années 50, ça n’aurait pas été crédible. Les années 70, c’était un bon compromis, après 68 et la libération sexuelle, et avant les années 80, et le sida. Et puis, esthétiquement, ça m’amusait de recréer cette période.»
Film d’époque avec chemises cintrées, divans rouille et moquettes brunes, Gouttes d’eau sur pierres brûlantes est aussi d’un autre temps, avec son mélange de mélodrame et de distanciation, un symbolisme imprégné de charge sociale qui caractérisait le cinéma de Bunuel ou de Ferreri, et n’ayant plus tellement cours aujourd’hui. «C’est vrai qu’en France, il y a un réalisme un peu plombant, un manque d’humour et de distance par rapport aux choses. Là, ça m’amusait de jouer sur l’artificialité, de miser sur l’identifiction que tout le monde peut avoir avec ce couple, et aussi d’avoir une certaine distanciation pour que le spectateur trouve sa place. Et puis, les histoires les plus universelles partent souvent de problèmes très particuliers. Là, on montre un couple d’hommes dans les années 70, en Allemagne, et tout le monde peut s’y reconnaître – bon, il faut être un peu ouvert d’esprit…»
Alors qu’il écrit son prochain film, François Ozon a déjà fini Sous le sable, avec Charlotte Rampling et Bruno Crémer (qu’on découvrira au Festival de Toronto), quatrième long métrage d’un cinéaste qui semble, la chose n’est pas coutumière, allier qualité et quantité.
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