

Almost Famous : Rock en stock
Des musiciens de dos, qui marchent jusqu’à la scène. Des plans rapides, caméra épaule. On se faufile derrière eux. On devine les ombres dans le noir, celles des groupies sur le bord du stage et celles, impatientes, de la foule.
Juliette Ruer
Des musiciens de dos, qui marchent jusqu’à la scène. Des plans rapides, caméra épaule. On se faufile derrière eux. On devine les ombres dans le noir, celles des groupies sur le bord du stage et celles, impatientes, de la foule. Et puis le manager hurle le nom du groupe et la lumière jaillit en même temps que le premier accord de guitare et les cris hystériques… Y’a rien là, direz-vous. On a vu ça des millions de fois, en documentaire rock et en fiction. Certes, mais dans le dernier film de Cameron Crowe, Almost Famous, c’est une décharge électrique. On a vraiment envie de se lever de son siège. Parce que le son est excellent, mais surtout parce que Crowe réussit, en quelques plans et tout au long du film, à communiquer cette transe irrationnelle de l’amour du rock.
Il sait de quoi il parle: Crowe, le réalisateur oscarisé de Jerry McGuire, mais aussi du charmant Singles, et l’auteur d’un livre sur ses entrevues avec Billy Wilder, était un jeune prodige de l’écrit. À l’âge de 16 ans, au début des années 70, il est devenu journaliste régulier au magazine Rolling Stones et a fait de nombreuses pages couvertures avec des stars souvent difficiles à approcher, tels les membres de Led Zeppelin, de Jethro Tull, mais aussi Neil Young, Joni Mitchell, Peter Frampton ou Van Morrison. Récit autobiographique donc, où Crowe a les traits de William (excellent Patrick Fugit), un adolescent qui doit couvrir pour Rolling Stones la tournée d’un groupe, Stillwater – dirigé par le charismatique bassiste Russell Hammond (Billy Crudup) et le chanteur Jeff Bebe (Jason Lee).
On suit le parcours initiatique convenu de l’adolescent qui se fait homme, qui découvre les rebuffades de l’amitié (avec Russell qui considère ce jeune journaliste comme un "ennemi", mais qui ne peut s’empêcher de l’apprécier), et les tourments de l’amour (avec Penny Lane, angélique Kate Hudson, muse amoureuse de Russell). C’est aussi le temps de quitter le cocon familial, tenu d’une main de fer par une mère protectrice (fabuleuse Frances McDormand). Dans le rôle de son ange gardien, Philip Seymour Hoffman personnifie Lester Bangs, célèbre critique rock du magazine Creem, le premier à avoir donné sa chance au jeune Crowe. Il est aussi celui qui lance les deux fils conducteurs du film: a) Pour être un journaliste, il faut rester un observateur honnête et ne jamais croire que l’on devient cool en fréquentant les stars; b) La grande période du rock est en train de mourir.
À la lecture, tout ceci peut sembler banal et déjà vu. Mais sans être un réalisateur hors norme, Crowe est un excellent raconteur. Il sait parfaitement mener son histoire et suivre le développement de chaque personnage, qualités et défauts compris. Enfin des rapports intelligents entre mère et fils! Enfin un groupe fictif qui pourrait exister hors du film! Crowe rend hommage à ceux qu’il a aimés, et pour ne pas buter contre les écueils d’une époque et d’un milieu surmédiatisés, il a recomposé son regard d’ado. On est loin de la construction historico-pompeuse des Doors. Almost Famous, c’est la petite histoire du sex, drugs and rock’n’roll. William-Cameron est un observateur émerveillé mais lucide. À travers ses yeux, les groupies sont des muses; et les musiciens, des idoles bienveillantes. Il y a des couchers de soleil dorés, des couleurs pastel et des reflets raphaéliques dans les cheveux des filles. Et quand ça sniffe ou que ça baise, le Petit Poucet le sait, mais il reste dans le couloir. Avec ce regard-là, on peut comprendre que la chanson Tiny Dancer d’Elton John, reprise en choeur par le band dans le bus de tournée, ne soit pas une kétainerie gratuite…
Almost Famous se regarde comme une lettre d’amour au rock, mais surtout à une énergie qui n’existe plus. Et le grand talent de Crowe est d’avoir enregistré avec subtilité le désenchantement : on change de producteur pour une question d’argent, les band aids, ces muses folles de musique, se transforment en groupies, folles du star-system, et la notoriété fait craquer l’amitié: l’amateurisme s’essouffle, les années 80 vont appartenir aux professionnels.
Qu’on interprête le film de plusieurs façons, on revient toujours au même point: il reste le rock, une boule d’énergie qui fait mettre la raison de côté. Un coup à ressortir ses vinyles…
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