La Noce – Pavel Lounguine : Heureux comme un Russe
Cinéma

La Noce – Pavel Lounguine : Heureux comme un Russe

Pavel Lounguine n’a pas le sourire facile. En fait, en le voyant, on n’a pas de mal à croire que le personnage du chauffeur dans son film Taxi Blues ait une certaine résonance autobiographique.

Pavel Lounguine n’a pas le sourire facile. En fait, en le voyant, on n’a pas de mal à croire que le personnage du chauffeur dans son film Taxi Blues ait une certaine résonance autobiographique. À l’époque, il y a de cela déjà une décennie, ce film avait marqué le jury de Cannes par la force de son scénario. Un univers glauque qui drapait d’une mélancolie intenable les rues sombres de Moscou. Lounguine, dont c’était la première oeuvre, avait alors acquis la réputation d’un cinéaste au ton cafardeux. Dix ans plus tard, il surprend tout le monde avec La Noce, son dernier film, qui cette fois prend la forme d’une comédie festive.

Et lorsque intrigué, on lui demande de nous éclairer sur ce qui semble être un paradoxe stylistique, il rétorque sans hésiter: "J’en suis venu à la comédie à force de dépressions." Il marque un long silence et s’explique: "Je ne m’attendais pas à ce que le film soit aussi comique car, à vrai dire, le scénario était assez triste. Ce sont les gens du film qui ont apporté cette gaieté." Les gens dont il est question sont les habitants de Lipki, un petit village à 200 km de Moscou. Le prétexte de leur prestation: les préparatifs entourant le mariage précipité de Tania (Maria Mironova) avec son amour d’enfance, Michka (Marat Basharov).

La majorité du casting est amateur. Un amateurisme qui a su s’imposer puisqu’il a reçu une mention spéciale à Cannes. Un prix somme toute assez justifié pour ces villageois mais qui reste à prouver pour certains rôles de soutien tenus par des professionnels. Ceux qui ont vu le film au FFM se souviendront à ce titre du personnage de la tante frivole qui semble tout droit sorti d’un théâtre de variétés. Cet alliage dans le casting fait tout de même dire à Lounguine qu’il y a là une manifestation d’un genre nouveau: "Pour moi, le film d’auteur comme Godard le faisait, ce n’est déjà plus possible car on se fout complètement du rapport de l’auteur avec sa femme, avec sa mère, avec son zizi… Le film d’auteur maintenant, c’est de passer par les cris muets de ces milliers de gens qui sont heureux."
En ce sens, La Noce se veut un peu l’antidote au pessimisme régnant aujourd’hui en Russie. Le cinéaste explique avec le recul ce qu’était alors son projet: "J’ai voulu trouver un petit bled perdu qui représente vraiment cette Russie énorme et anonyme. Je me suis dit qu’en s’infiltrant dans ce village et en se mélangeant à ces gens, une vérité allait surgir. Une vérité a en effet surgi et elle n’était pas du tout catastrophique." Il est vrai que malgré leur calvaire quotidien (où le jour de paie est presque devenu un souvenir qu’on se remémore avec nostalgie), les villageois semblent tenir tête à leur destin. "La vie ne se résume pas aux conditions matérielles, et ces gens-là sont increvables", constate Lounguine.
Tant bien que mal, les personnages se rattachent à ce qui leur semble des ports solides sur un terrain mouvant. Certains se laissent encore bercer par les mirages du passé (le père du marié qui arbore avec une fierté pitoyable ses médailles d’ex-héros communiste), alors que d’autres se convainquent quotidiennement que leur avenir se joue ailleurs que dans ce trou (le chef de police corrompu qui ne vit que dans l’espoir d’être muté à Moscou). Et puis il y a ceux qui ont connu Moscou et qui en sont revenus. C’est le cas de la fameuse mariée qui, officiellement dit avoir été mannequin dans la grande ville mais qui, officieusement, semble avoir fait le tapin dans les bras de la mafia. La preuve en est son gamin qu’elle a largué dans un orphelinat.

Tout ce "réalisme" ne manque pas de faire penser à une sorte de carte postale russe destinée aux Occidentaux. On connaît les déboires de l’ex-bloc soviétique. Aussi, dans notre banque d’idées préconçues, on se figure la fougue qui est, paraît-il, propre à l’âme slave. Seulement, voir nos clichés captés par une caméra nerveuse et plaqués sur un grand écran n’est pas nécessairement un exercice de haute voltige. Même si le cinéaste est plein de bonnes intentions, il reste que les quiproquos et les gags à répétition sont souvent cousus de fil blanc. On ne compte plus les péripéties, et les soûleries finissent par ressembler à une excuse pour entonner toutes les chansons du répertoire. Bref, un récit bien imbibé de vodka que le cinéaste se plaît à décrire comme "une mythologie moderne" mais qui s’élève rarement au-delà d’un sous-Kusturica.

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