Girlfight : Coeur au poing
Girlfight de KARYN KUSAMA se regarde comme un autre match gagnant dans l’avancée féminine au cinéma, mais surtout comme une oeuvre maîtrisée mettant en scène une amazone exceptionnelle, MICHELLE RODRIGUEZ.
Michelle Rodriguez est une bombe à l’écran. Son nom ne vous dit rien, c’est normal. Il sonnera plus familier dans quelques années. Karyn Kusama, la réalisatrice de Girlfight, l’a découverte comme on a découvert Cendrillon: une mine de potentiels inexploités sommeillant dans un quotidien désenchanté. La belle cumulait les apparitions fugitives dans les films, convaincue que c’est en se frottant à l’usine à rêves que l’on comprend son fonctionnement. C’est donc tout naturellement, et surtout par désoeuvrement, qu’elle répondit à l’appel de casting lancé par la cinéaste. Des 350 filles qui se sont pointées, elle s’est démarquée sans peine. Kusama en a fait une guerrière des bas-fonds, une amazone de la zone.
Dans Girlfight, Michelle Rodriguez est Diana Guzman, une Latina de Brooklyn, pas commode du tout. Faute de mieux, elle promène nonchalamment son existence de salle de cours en salle de cours dans ce qui se veut sa dernière année au collège. Le soir venu, elle regagne sa cité peu recommandable. Là-bas, dans une cuisine exiguë, le repas familial ressemble, jour après jour, à une séance d’humiliation, où la jeune fille est victime de la misogynie paternelle. Diana accumule de la rage qu’elle dissimule mal. Désabusée, elle cherche un exutoire qu’elle trouvera dans la boxe. Un moyen comme un autre de racheter sa dignité et d’imposer le respect autour d’elle.
Ce scénario, Kusama l’a trimballé pendant cinq ans sans trouver d’acheteur. C’est finalement son maître et mentor John Sayles, une figure incontournable du cinéma indépendant américain, qui pigea dans ses poches. C’est qu’il croit beaucoup au talent de cette débutante qu’il a lui-même formée. L’idée était de lui donner sa première chance alors que tous avaient décliné son offre, prétextant une histoire trop commerciale. En tout, Girlfight n’a coûté qu’un million de dollars. Un maigre budget qui jamais ne se fait sentir dans la facture du film. Et l’ironie du sort c’est que Sundance, qui avait boudé le projet en pré-production, s’est retrouvé à lui décerner, quelques mois plus tard, le Grand Prix du jury ainsi que le Prix de la meilleure réalisation. Appâtés par la rumeur, producteurs et distributeurs se sont alors agglutinés comme des fourmis autour de la cinéaste.
Car, il faut le dire, Girlfight force le respect par la charge qu’il contient et la maîtrise qu’il expose. Un film puissant et crédible qui frôle les lieux communs sans jamais les visiter. Kusama (elle-même boxeuse) semble rappeler que ce n’est pas parce qu’une fille fait montre d’agressivité qu’elle renonce nécessairement à sa féminité ou aux hommes. D’ailleurs, la jeune fille tombera amoureuse d’un… boxeur (Santiago Douglas). Mais comme il n’est pas question d’amourette sur le ring, c’est sans ménagement pour leurs sentiments que leurs entraîneurs rivaux prendront les paris pour un match les confrontant. Le premier rapport affectueux – et quasi platonique – que Diana a réussi à tisser avec un homme menace alors de s’effriter.
Kusama surprend également par ses choix esthétiques qui contrastent avec l’image traditionnelle du film de boxe. Ainsi, la jeune cinéaste renonce à la "glamourisation" du vainqueur tout comme elle refuse la glorification des corps lors du combat. Alors qu’on a coutume de nous servir un plan du vainqueur sautillant sur place au ralenti, tout en secouant la tête, dans Girlfight, le gagnant soulève modestement le bras, salue son adversaire et s’éclipse. Pas de surenchère, ni de déchaînement, ici on pratique la boxe et non la lutte. Suivant la même logique, les affrontements sur le ring sont captés par une caméra froide, presque clinique, qui rapporte sobrement les faits sans insister sur les attributs des rivaux. Tout aussi marquants sont les plans lancinants qui insistent longuement sur un protagoniste, brisant ainsi la fameuse tradition du champ/contrechamp lors des combats. Ainsi le suspense se construit autrement, aidé entre autres par la musique de Theodore Shapiro qui alterne rythmes latins et rap féminin.
Côté mise en scène, Kusama charme encore une fois en misant sur plusieurs matchs, d’importance plus ou moins égale, disputés par l’héroïne au cours du film, au lieu de capitaliser sur le mythique combat final censé justifier le labeur de l’entraînement. Ayons une petite pensée pour le pauvre Rocky qui se fendait toujours en quatre en vue du match ultime… Autre époque, autres moeurs mais une chose subsiste: le héros d’un film de boxe finit toujours par gagner car, aux États-Unis, on ne présente pas de losers… même pas dans les films indépendants.
Voir calendrier
Cinéma exclusivités
Impressions d’une boxeuse
Louise Provencher, 38 ans, pratique la boxe depuis six ans, elle est la première Québécoise à avoir obtenu le titre de championne canadienne de boxe féminine. Elle fait aussi du karaté depuis 20 ans, et n’a rien d’un garçon manqué. Et c’est ce qui l’a agacée dans Girlfight: "Je suis sortie du cinéma un peu ambivalente, parce que c’est un film qui montre les extrêmes (et non la norme), et c’est encore une histoire typique où tout finit bien."
Le personnage principal de Diana n’est-il pas crédible?
"Diana vient d’un milieu difficile, elle est très décidée à s’en sortir, on le sent dans ses yeux, dans sa rage, dans sa force. C’est un caractère, une tough, mais il n’y a pas juste ça dans la boxe! La rage n’est pas un facteur de motivation dans la réalité. Je comprends ce type de personnalité agressive et fonceuse, mais avec ce film on régresse de dix ans. On a dépassé tout ça, En 1999, il y avait une trentaine de femmes dans la boxe et les gars ont besoin de nous pour les Jeux olympiques de 2004!"
Quelles sont les principales erreurs de ce film?
"Un combat amateur entre un homme et une femme qui s’aiment n’est pas du tout crédible. On peut s’entraîner contre un homme, je le fais moi-même; on peut tomber en amour quand on pratique le même sport, mais de là à se battre sur un ring: non. Pour se battre, il ne faut pas avoir de sentiments trop émotifs envers l’adversaire. Et elle gagne! Je crois à l’égalité des femmes mais, à mon avis, ce n’est pas en se battant CONTRE un homme, mais plutôt POUR soi-même qu’on y arrive… C’est un entraînement physique où il faut faire face à ses peurs. On n’a pas à se mesurer contre un homme. Et puis, même si c’est beaucoup plus ouvert qu’avant, je ne pense pas qu’un gars dans cette vie-ci laisse sa blonde gagner dans un sport aussi macho que la boxe! De plus, elle n’a jamais peur avant les combats et elle ne perd jamais, ce qui n’est pas normal. N’importe quel athlète a peur."
Points positifs?
"La relation entre l’entraîneur et la boxeuse est très bien, très juste. C’est une relation qui se développe. Sa technique à elle est excellente, et on comprend que la boxe en amateur met au point une approche plus stratégique, plus tactique que dans la boxe professionnelle, qui fait davantage appel à la force. Mais si tu ne connais pas le milieu de la boxe, si tu ne comprends pas tout, ça donne une image de gars manqué qui ne colle plus à la réalité d’aujourd’hui. Par contre, la fille joue très bien…"