Harry, un ami qui vous veut du bien : L’homme qui en savait trop.
Surprise sur la Croisette, succès inattendu, le film de DOMINIK MOLL est une délicieuse comédie perverse qui rappelle les manigances d’Hitchcock. Metteur en scène sous influence.
En route vers une maison de vacances à retaper, un jeune couple tente de rester calme, alors que les enfants hurlent et se chamaillent à l’arrière d’une voiture surchauffée. Scène banale, quotidienne, et drôle quand il s’agit des autres… Puis, le générique de Harry, un ami qui vous veut du bien défile sur une vue aérienne de la voiture roulant à vive allure sur le béton brûlant. Des images géométriques, très graphiques, à la limite de l’abstrait, comme un mot qui perd son sens à force d’être répété.
Les trois premières minutes du second long métrage de Dominik Moll annoncent bien l’ambiance de cette comédie de moeurs à la française qui bascule dans le suspense. Au bord de l’autoroute, le jeune papa (Laurent Lucas) rencontre une vague connaissance de lycée, Harry (Sergi Lopez), un riche héritier, flanqué de sa pulpeuse fiancée (Sophie Guillemin), et qui, peu à peu, va s’intéresser à la petite famille, les aider, puis s’immiscer de plus en plus dans leur vie. D’abord méfiants, le jeune père et la jeune maman (Mathilde Seigner) vont finalement laisser tomber leur suspicion. Ils n’auraient pas dû.
Il faut toujours se méfier des gens qui veulent notre bien, surtout quand ça a l’air gratuit… Sur cette idée de départ que n’aurait pas reniée Hitchcock, le cinéaste de 38 ans a brodé, avec son coscénariste Gilles Marchand, une histoire délicieusement perverse, au cours de laquelle le spectateur prend plaisir à être déjoué, et à voir ses a priori s’écrouler un à un. "En fait, le point de départ, raconte le jeune cinéaste, c’était l’envie d’écrire l’histoire d’un type qui se retrouve devant quelqu’un qui représente une sorte de liberté absolue, sans contrainte matérielle, familiale ou autre. À la suite de mon expérience de jeune papa, j’étais un peu déboussolé par le changement assez radical que ça représentait dans ma vie. J’étais très débordé, et j’ai mis du temps à retomber sur mes pieds. Et puis, le film est allé beaucoup plus loin que prévu…"
Après avoir étudié le cinéma à New York et à Paris, Dominik Moll a fait ses classes comme assistant monteur et assistant réalisateur (entre autres avec Marcel Ophuls), et a réalisé Intimité, un premier long métrage qui lui a permis de rencontrer Michel Saint-Jean, producteur de Harry… "Tout s’est fait très vite parce que le scénario plaisait déjà beaucoup. On a commencé à tourner en août 99, et le film est sorti un an plus tard." Après un passage remarqué sur la Croisette, et épaulé par une critique unanimement élogieuse, Harry… dépassa le million d’entrées en trois semaines; un succès public que le réalisateur qualifie de surprenant: "Ça devient presque abstrait", confesse-t-il.
Pas si surprenant que ça quand on considère le plaisir qu’on a à tenter de deviner ce qui va se passer, à percer à jour ce mystérieux bon Samaritain, oscillant, à l’instar des deux principaux protagonistes, entre le soupçon et l’admiration, le cynisme et la compassion. Un jeu du chat et de la souris qui tisse un lien instantané entre le spectateur et le film, un petit jeu de manipulation que le cinéaste revendique. "En fin de compte, le spectateur en sait beaucoup plus sur chaque personnage qu’ils n’en savent eux-mêmes. Je vois ça moins comme de la manipulation que comme une manière de faire participer le spectateur au récit."
On retrouve, dans ce film dont la mise en scène sobre et efficace s’efface derrière le sujet, un plaisir palpable à raconter une histoire sans prendre les gens pour des idiots. Du bon cinoche, qui ne cherche pas à réinventer le 7e art, mais l’exploite intelligemment. "Dès l’écriture, la notion de plaisir était importante, autant pour nous, comme scénaristes, que pour le spectateur. Un peu comme dans Shining, dans lequel on prend plaisir à avoir peur."
Avec une remarquable économie de moyens, et des acteurs tous excellents, Dominik Moll remet au goût du jour un certain classicisme, dont le plus illustre représentant est certainement Alfred Hitchcock. Une référence qui ne pèse jamais sur le film de cet hitchcockien invétéré, qui admire également les romans de Patricia Highsmith. "Je n’ai jamais envisagé le film comme un hommage à Hitchcock, explique Moll, mais s’il y a une influence, c’est plus dans l’esprit, et dans une manière ludique et curieuse d’aborder le cinéma. Et aussi dans la notion de plaisir. On sent chez Hitchcock un vrai plaisir de fabrication. Et c’est quelque chose de très important pour moi, autant comme cinéaste que comme spectateur."
Film diablement bien ficelé, Harry, un ami qui vous veut du bien est le fruit d’une maîtrise discrète dont Dominik Moll a bien du mal à expliquer les rouages. "Beaucoup de spectateurs se font une fausse idée du travail de réalisateur, en pensant que tout est intellectualisé, qu’on sait à chaque fois, exactement ce qu’on fait et ce que ça va créer comme sens, comme impact sur le spectateur. Ça arrive, mais les choses se font de façon beaucoup plus intuitive."
Happé par la tournée promotionnelle internationale de son film (lorsque nous l’avons rencontré, Dominik Moll arrivait du Festival de Toronto, avant de repartir ailleurs), le cinéaste n’a pas encore eu le temps de penser à son prochain film, tout en sachant qu’il retravaillera avec le même scénariste et le même producteur. Peut-être une histoire de type débordé… Pourquoi pas un cinéaste?!
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