FCMM 2000 : La récolte
Cinéma

FCMM 2000 : La récolte

Riche programmation que voilà! Oyez Oyez! Le Festival du nouveau cinéma et des nouveaux médias ouvre ses portes. Regards neufs, styles éclatés, ceux qu’on attendait et ceux qu’on découvre. Bousculons-nous, voici nos choix. Aperçu.

Dans cette première semaine de Festival, goûtons à tous les plats. Le plus difficile à obtenir, c’est la première mondiale. Chamberlan et Bourdon ont mis la main sur un cas d’école: Spike Lee. En panne depuis quelques films et connu pour ses humeurs, le réalisateur offre néanmoins Bamboozled au FCMM. L’affiche de ce film a déjà mis les Américains en colère et l’histoire risque d’en faire grincer plus d’un. À voir également dans la section portrait, Von Trier’s 100 Eyes, de Kathia Forbert Peterson (présente au Festival), un documentaire sur le tournage de Dancer in the Dark, où le réalisateur a utilisé 100 caméras fixes pour filmer en vidéo les scènes musicales. Pour voir aussi un mégalo à l’ouvrage. Un documentaire a fait beaucoup parler de lui, il s’agit de Dark Days, de Marc Singer, gagnant du Premier Prix au Festival de Sundance, sur un groupe de squatters installés sous terre à New York. Ne manquons pas la production nationale: l’histoire burlesque d’un artiste (Eisenstein, de Renny Bartlett); le lien poétique entre trois femmes (Les Fantômes des trois Madeleine, de Guylaine Dionne) et un film d’amour et de musique (Du pic au coeur, de Céline Baril). Mentionnons enfin un trio culturel intéressant: Marin Karmitz (Comédie), David Mamet (Catastrophe) et Atom Egoyan (Krapp’s Last Tape) se penchent tous sur Samuel Beckett. Bon cinéma.

The Goddess of 1967
Le jour même où un jeune Japonais branché débarque en Australie pour prendre possession de la DS 1967 rose bonbon qu’il vient d’acheter par Internet, le propriétaire de la voiture de collection est abattu. Le Nippon va sillonner les routes de l’outback aux côtés d’une jeune Australienne, mystérieuse, rousse et aveugle.

Prenez une bonne dose de Jarmush (pour l’humour pince-sans-rire et le désabusement cool), une pincée de Priscilla, Queen of the Desert (pour les paysages et l’extravagance de certaines situations), et leregard résolument moderne de Clara Law, réalisatrice aguerrie de Hong-Kong, et vous avez The Goddess of 1967. Bourré d’idées visuelles, ce road-movie navigue avec aisance entre le minimalisme et la comédie. À l’image de la Citroën qui lui donne son titre, et dont l’historique est égrené tout au long du récit (vignettes comico-pratiques mêlant statistiques de fabrication et citations de Barthes!), ce film a du style et de la grâce. À l’exception de la dernière demi-heure, inutilement explicative, The Goddess of 1967 est aussi racé que touchant, récupérant des effets de mode pour en extraire la part sensible. Bref, un film qu’on dirait commandé par le Festival du nouveau cinéma! (É. Fourlanty)

Possible Worlds
Deux policiers (Sean McCann et Rick Miller) enquêtent sur un homme assassiné (Tom McCamus), dont le cerveau a disparu. La victime semble avoir mené (ou mène?) plusieurs vies parallèles, au cours desquelles il a rencontré une femme (Tilda Swinton), toujours la même, toujours différente.

Adapté d’une pièce du dramaturge John Mighton (qui en a signé le scénario), le quatrième film de Robert Lepage est un exercice de style existentiel en forme d’enquête policière, qui énonce une fascinante prémisse voulant que la vie soit à la fois ici et ailleurs. C’est, de plus, une riche parabole sur la nature du cinéma, et peut-être même sur celle de l’amour… Hélas, malgré la maîtrise de plus en plus évidente du cinéaste et la richesse du propos, Possible Worlds est d’une cérébralité glaciale, démonstration élégante et floue d’un concept qui ne parvient jamais à s’incarner. Dommage. (É. Fourlanty)

Aïe
Second film d’une jeune cinéaste française, Aïe est une comédie hilarante et fine, dans laquelle un célibataire un peu perdu (André Dussolier) louvoie entre une ancienne flamme qui vient d’accoucher (Emmanuelle Devos) et une jeune fille étrange, boulimique et mythomane (Hélène Fillières).

Sur ce canevas franco-français, Sophie Fillières a écrit et réalisé unfilm aussi savoureux et piquant qu’une dragée au poivre. La grande réussite de ce doux ovni, qui n’évite pas les longueurs en fin de parcours, ce sont les dialogues, réalistes et décalés. Sans faire dans la joute oratoire à La Discrète, ni dans le naturalisme à la Jaoui, les mots de Fillières captent quelque chose de l’air du temps, tout en ayant une couleur bien à eux. En séducteur dilettante, Dussolier est égal à lui-même; mais c’est Hélène Fillières, soeur de la réalisatrice, qui constitue la véritable révélation du film. Physique étrange et banal à la fois, ni midinette ni femme fatale, elle impose un ton original, qui fait écho à celui de ce film délicieux. (É. Fourlanty)

Signs and Wonders
Après Sunday, Jonathan Nossiter a braqué une caméra numérique sur un couple d’Américains divorcés, vivant à Athènes (Charlotte Rampling et Stellan Skarsgard), et leurs nouveaux amours respectifs (Dimitri Katalifos et Deborah Kara Hunger). À ce quatuor amoureux s’ajoute un suspense minimaliste à saveur politique, et la présence discrète, mais de plus en plus oppressante, de la fille adolescente des parents divorcés.

Si l’importance donnée par le cinéaste aux signes prémonitoires et aux coïncidences triviales pour relancer son intrigue paraît souvent forcée, c’est dans le regard perçant qu’il porte sur les relations humaines que Signs and Wonders est le plus convaincant. Démêlant peu à peu l’écheveau sentimental qui se noue, Nossiter baigne son film d’une étrange mélancolie, portée par la lumière froide d’une Grèce hivernale. (É. Fourlanty)

Thomas est amoureux
Premier film de Pierre-Paul Renders, Thomas est amoureux met en scène un agoraphobe qui ne communique avec l’extérieur que par écrans interposés. Relations sexuelles virtuelles, rendez-vous avec sa mère, ses amis, son psychologue, son assureur, etc.: tout passe par l’écran, véritable cordon ombilical de ce foetus cathodique – jusqu’à ce qu’il rencontre ce qu’il crit être l’amour…

Avec un procédé semblable à celui utilisé par Arcand dans Stardom (la caméra subjective à l’heure de la multiplication des images), ce jeune cinéaste belge signe une comédie douce-amère sur la solitude cybernétique. C’est joli, bien pensé et bien tourné, suffisamment intrigant pour stimuler, et assez léger pour être divertissant. Une belle petite réussite. (É. Fourlanty)


Dancer in the Dark
Quel beau feu entre le Danois et l’Islandaise! Le réalisateur Lars Von Trier, un des plus doués (ou des plus surfaits, cela dépend de la lorgnette), a remporté l’honneur suprême à Cannes avec son troisième opus sur le sens du sacrifice des femmes, une tragédie musicale: Dancer in the Dark. Le cinéaste a déjà une bonne collection de prix, récoltés grâce à Europa (1991), Breaking the Waves (1996), Les Idiots (1998) et sa série télévisée cauchemardesque, The Kingdom (1994 et 1997).

Von Trier, c’est le gars qui pique des colères sur le plateau, qui est incapable de prendre l’avion, et qui refait une virginité au cinéma en suivant les lois Dogma 95. Cet artiste, à qui l’on construit déjà un mythe, a conçu une oeuvre hybride et grandiose, un opéra moderne et déglingué sur une jeune Tchèque presque aveugle (fabuleuse Björk, Prix d’interprétation féminine) qui travaille d’arrache-pied pour que son fils soit opéré. Avec Catherine Deneuve, David Morse, Peter Stormare, Jean-Marc Barr et Udo Kier. Le film, présenté simultanément dans les trois salles du Complexe Ex-Centris, fait l’ouverture du FCMM. (J. Ruer)


101 Reykjavik
Un gars qui n’a pas envie de vieillir (Hilmir Snaer), vit chez sa mère, downtown Reykjavik. Son univers est un peu bouleversé quand il apprend que la belle Lola (Victoria Abril), avec qui il vient de passer une nuit d’amour, est non seulement la maîtresse de sa mère, mais qu’elle est peut-être enceinte de lui…

Premier film remarqué d’un acteur islandais réputé, Baltsar Kormakur, 101 Reykjavik est une comédie noire et actuelle, tirée d’un best-seller. L’humour est décapant mais non cynique, et le film porte un regard attendri sur la culture d’aujourd’hui et sur ceux qui la font. Bande-son qui déménage signée Damon Albarn, de Blur, et Einar Örn, l’icône punk islandaise. (J. Ruer)

La Moitié gauche du frigo
Christophe (Paul Ahmarani), 30 ans, ingénieur au chômage, partage son appartement et son amitié avec Stéphane (Stéphane Demers), activiste social. Stéphane veut filmer la recherche d’emploi de son copain. Christophe est d’accord. Mais le film devient une entreprise tentaculaire, voire dommageable.

On aime le titre et le genre: La Moitié gauche du frigo emprunte la voie du cinéma direct, clin d’oeil à Michael Moore, pour suivre les efforts de l’un et l’obsession de l’autre. Le réalisateur, Philippe Falardeau, a cavalé dans le cadre de La Course autour du monde et a signé à l’ONF le documentaire Pâté chinois, sur l’immigration chinoise au pays. Avec ce premier long métrage, il propose une vision nouvelle des effets désastreux du chômage sur nos petites personnes: vision remarquée, puisque le film a gagné le Prix du meilleur premier film canadien au Festival de Toronto. (J. Ruer)


Les Glaneurs et la Glaneuse
Un documentaire sur des gens qui ramassent ce que les autres jettent, à priori on s’en fout. Ça ne semble pas un sujet cinématographique en or. Sauf pour Agnès Varda, qui voit toujours des choses que les autres ne voient jamais. Le film commence comme un cours d’histoire de l’art (regard sur quelques célèbres toiles), et puis on s’évade vers l’universel, vers le sens des valeurs. Et on aime ça.

L’humour plutôt excentrique de la réalisatrice de Cléo de 5 à 7 convient bien à ce documentaire qui traîne et grappille de villes en villes, de marchés en poubelles, pour y voir comment on peut élever la débrouille au niveau de mode de vie. Histoire aussi de jter un oeil sur la pauvreté. À ne pas gâcher. (J. Ruer)

In the Mood for Love
Dernier film d’un des grands cinéastes de notre temps: In the Mood for Love, de Wong Kar-Wai. Embarquement immédiat. À Cannes, on a honoré son extraordinaire poésie visuelle (Prix de la technique) et le talent tout en retenue de l’acteur fétiche de WKW, Tony Leung (prix d’interprétation masculine). Avec Chungking Express (1994), Fallen Angels (1995) et Happy Together (1997), Wong Kar-Wai est devenu un cinéaste-culte et il a surtout réalisé une chose étonnante: signer des films de plus en plus envoûtants…

Dans une petite communauté de Shangai vivant à Hong-Kong, en 1962, un journaliste (Tony Leung) rencontre une secrétaire (Maggie Cheung). Leurs époux respectifs ont une liaison. Ils en feraient peut-être autant… Mais pourquoi en dire plus? La narration linéaire n’est pas le propre du maître. Il faut se laisser envoûter par le pouvoir romanesque d’In the Mood for Love, par ses couleurs, sa mélancolie et, sous son vernis nostalgique, sa superbe modernité. Un film somptueux, entre le spleen de la Nouvelle Vague et celui des années Giene Tierney et Marlène Dietrich. À voir et à revoir. (J. Ruer)

Bamboozled
Spike Lee récidive. Toujours aussi épris de la cause des Noirs, l’homme de Brooklyn (qui a marqué les consciences avec Do the Right Thing) propose cette fois une comédie. Mais venant de lui, ce ne peut être qu’une satire. Le sujet à la barre des accusés, c’est la télévision. Pour être plus précis, c’est l’image du Noir au petit écran. Une image déjà grossièrement malmenée durant plus de 150 ans par les spectacles de variétés. Par un ressort ironique, le film nous fait revivre l’épopée des «black-face», ces acteurs blancs du XIXe siècle qui s’enduisaient le visage de peinture noire et se livraient à du cabotinage censé représenter sur scène la nature profonde de l’Afro-Américain nonchalant. (I. Lamouri)


Les Muses orphelines
À l’origine, on connaît le texte sigé par Michel Marc Bouchard (Being at Home with Claude) et mis en scène par René-Richard Cyr. Après avoir assisté à une représentation de la pièce en 1993, Robert Favreau (Nelligan) se met en tête de l’adapter à l’écran. Il retrousse ses manches et s’attaque à ce monument du théâtre québécois. L’histoire est peu commune: trois soeurs et un frère, quatre êtres bizarres et mésadaptés, se réunissent d’urgence car une rumeur circule. Tout porte à croire que leur mère, les ayant abandonnés vingt ans plus tôt, a réapparu. Des acteurs de la pièce, Favreau ne retiendra que Louise Portal, à qui s’ajoute Marina Orsini, Céline Bonnier, Fanny Mallette et Stéphane Demers. À voir. (I. Lamouri)


Pierre ou les Ambiguïtés
Avec les années, Léos Carax (Les Amants du Pont-Neuf) s’est taillé toute une réputation. On l’a proclamé poète du mal de vivre, Rimbaud du septième art et j’en passe. Et les éloges allaient bon train jusqu’à il y a deux ans, à Cannes, où il présenta son dernier film, Pola X. Par on ne sait quel retournement traître, la critique française le crucifia. Le film aurait-il déplu? Voyons voir: adapté du livre d’Herman Melville, Pierre ou les Ambiguïtés n’est que la version longue de Pola X. Une demi-heure de plus, comme si Carax se donnait (ou nous donnait) une deuxième chance.

N’empêche, ça n’avait pas beaucoup plu, cette histoire de Pierre (Guillaume Depardieu), écrivain gâté et fils de bourgeoise (Catherine Deneuve), qui bascule dans la déchéance la plus sombre lorsqu’une fille, prétendant être sa soeur, croise son chemin. Reconnaissons tout de même le parcours non sans courage de Deneuve qui ne travaille pas avec les plus simples… (I. Lamouri)

Ressources humaines
Ne cherchez pas, Laurent Cantet en est à son premier film. Il signe, avec Gilles Marchant, un portrait cinglant de la condition ouvrière. Un film sur tous ces gens que la nouvelle économie structure et restructure au gré de ses humeurs. Une fiction sociale sur cette réalié infâme qui fait que les rides creusées à l’ouvrage n’ont plus de valeur aux yeux des patrons. Ressources humaines est donc l’histoire d’un jeune diplômé en commerce (Jalil Lespert) qui fait un stage dans l’usine où son père se dévoue depuis 30 ans. Là, par une machination bien calculée par ses supérieurs, il se retrouve, tel un Odipe des temps modernes, à fignoler l’acte de congédiement de son père. Un film qui a beaucoup dérangé et inspiré nombre de débats en France. Bonne presse. (I. Lamouri)


Yi Yi (Un et Un…)
Depuis qu’il a remporté le Prix de la mise en scène à Cannes, la France ne jure plus que par Edward Yang, ce Taïwanais de 53 ans qui fait du cinéma depuis plus de 15 ans mais qu’on vient juste de découvrir. Son dernier film, Yi Yi, est une histoire simple, mais complexe comme le sont les destins humains. C’est le quotidien de NJ, petit homme sans relief, informaticien sans histoire, qui a épousé Min-Min avec qui il a eu Ting-Ting et Yang-Yang. Une petite vie tranquille avec une belle-mère qui agonise, une femme qui déprime, une adolescente timide, un gamin attachant, et un bonheur qui manque à l’appel. Pas étonnant que NJ soit obsédé par l’image d’un destin foireux, son destin… On parle d’un autre maître asiatique. À voir absolument, en espérant qu’un distributeur se jette dessus… (I. Lamouri)

FCMM
Complexe Ex-Centris
Du 12 au 22 octobre
www.fcmm.com