Les Confessions du docteur Sachs : Médecine douce
En France, le roman de Martin Winkler, comme le film de Michel Deville, s’appelle La Maladie de Sachs. Mais pas au Québec. Le mot "maladie", un peu sombre, a dû faire peur aux distributeurs qui ont décidé de changer le titre.
En France, le roman de Martin Winkler, comme le film de Michel Deville, s’appelle La Maladie de Sachs. Mais pas au Québec. Le mot "maladie", un peu sombre, a dû faire peur aux distributeurs qui ont décidé de changer le titre. "Et ce n’est pas tout à fait exact, réplique Michel Deville, rencontré à Montréal. Ce ne sont pas les confessions du docteur." C’est même l’inverse. Bruno Sachs (Albert Dupontel) est médecin de campagne dans une ville paisible entre Tour et Le Mans. Il est jeune, attentif aux malades qui se confient à lui, et si dévoué qu’il se rebelle souvent contre une médecine qui s’occupe plus des maladies que des patients. Chez lui, il écrit tout ce qu’on lui raconte, il note toutes ces confessions, pour sortir de son propre malaise. Un jour, il avorte une jeune femme, Pauline Kasser (Valérie Dréville), et il en tombe amoureux. L’écriture continue de plus belle: cette femme avortée le pousse à accoucher d’un roman. Cette histoire, qui aurait pu s’appeler l’Humanité, est vraie dans les moindres détails. Aujourd’hui, Martin Winkler, après un immense succès en librairie, n’est plus médecin, mais écrivain.
"C’est un livre original qui racontait des choses que je n’avais jamais lues, raconte Deville, d’une voix quasi inaudible. Les histoires d’un médecin de campagne, on ne peut pas appeler ça un sujet galvaudé! Ce roman est très gros, très dense. Et cette matière première m’offrait la possibilité de faire un film que je n’avais jamais fait, ce que je cherche toujours." Michel Deville, presque 70 ans, grand et mince comme un bouleau, habillé de gris, avec ses cheveux immaculés et ses yeux d’un bleu glacé, est à l’image de ses films: précis, réservé, un peu froid et en dehors de ce monde. Pensez à Dossier 51, Péril en la demeure, ou à La Lectrice, plutôt qu’à Raphaël ou le débauché et à Benjamin. Mais la fragilité dégagée n’entame pas la rigueur et l’intégrité de l’artiste. Et cette histoire, il la raconte impeccablement.
Presque 60 personnes défilent devant le bon docteur. On assiste à une série quasi ininterrompue de monologues qui traitent de petits et de grands bobos, de secrets parfois comiques et souvent tragiques, où, devant la souffrance et la mort, se dégagent mesquinerie mais aussi grandeur d’âme. "Les dialogues sont réels, le romancier a seulement changé les noms, s’amusant à donner ceux d’auteurs connus, Leblanc (Maurice), Destouches (Céline) ou Renard (Jules) ", précise le réalisateur. Et cette accumulation est vraiment fascinante, parce que le voyeurisme entre en jeu, et parce que tous les comédiens sont exceptionnels. Venant majoritairement du théâtre, ils composent une mosaïque de l’ordinaire et la quotidienneté de la souffrance avec une grande justesse. Dupontel, on le connaît en comique grinçant dans Bernie; mais des rôles mineurs (Un héros très discret) laissent transpirer un jeu autrement plus sombre et violent. Cheveux en bataille, regard fiévreux, il n’est qu’un écouteur géant des malheurs des autres. Il n’existe que par les autres, comme le héros de Dossier 51. Et ça le rend sauvage. "Plus que la bonté, c’est la compassion qui m’a séduit chez ce personnage, explique Deville. Dans la vie, et souvent chez les médecins, les gens n’écoutent pas, ils monologuent, ça me choque."
Sachs hoche la tête, visse et dévisse le bouchon de son stylo, et écoute les problèmes filiaux et conjugaux, les incurables comme les irrités de la gorge. Et jamais, on ne s’ennuie. "Je considère ce film comme mon premier film réaliste, affirme Deville qui semble s’animer un peu. Le premier où je raconte l’histoire de gens réels. J’ai essayé d’être plus naturaliste. Par exemple, détail technique: je fais tous mes films depuis longtemps au zoom, avec un seul objectif, ce qui me permet de faire des changements de focales visibles. Là, j’ai voulu des objectifs fixes, pour avoir une idée plus documentaire. Mais je m’interdis toujours de faire des champs et contrechamps où les plans soient identiques. Je change un peu l’axe, le cadre, je passe par un plan intermédiaire, de mains par exemple; mais je ne remets jamais le même plan, pour ne pas ennuyer le spectateur." De ce film faussement calme, on retient le silence tendu du docteur et l’implacable désarroi de ne pouvoir réellement alléger les souffrances. On retient surtout le ton Deville qui, avec économie et tension, réussit à composer un kaléidoscope humain sans noyer les individus dans la masse. Et en sortant du cinéma, on cherche les bobos dans le regard des passants…
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