La Bouteille – Alain DesRochers : Faire pousser des rêves
Le cap du premier long métrage vient d’être franchi par ALAIN DESROCHERS, avec La Bouteille. Résultat des courses: un film intelligent et bien construit, aussi drôle que grave. Une excellente cuvée maison.
Alain DesRochers
est fébrile. Un premier long métrage est toujours sujet à angoisses: "Moi, je suis habitué à faire une pub et, trois jours plus tard, elle est en onde. Et puis, il n’y a jamais ton nom dessus. Là, mon nom est gros comme le bras, sur grand écran. C’est stressant." Le stress se nomme La Bouteille, une fable touchante sur nos illusions de jeunesse. Et pourtant, des images, ça fait 10 ans que DesRochaers en fabrique. Comme tous les collègues de sa génération, il a fréquenté la fameuse École de cinéma de l’Université Concordia. Ensuite, il s’est aiguisé les dents dans le merveilleux monde du vidéo-clip. Il en a réalisé une centaine et puis ce fut le ras-le-bol.
Il a troqué la promotion de chansons contre la promotion de produits. Et l’exercice s’est avéré lucratif: "À ma sortie de l’université, j’étais puriste. Je voulais faire du cinéma. La pub, je crachais là-dessus. Aujourd’hui, j’en vis extrêmement bien." Malgré la stabilité financière, l’idée de faire du cinéma le démange de plus en plus. Il fait quatre courts métrages. Le dernier du lot, L’Oreille de Joé, lui vaudra bien des éloges ainsi qu’un couronnement lors d’un festival belge. DesRochers sort de l’anonymat et fait parler de lui. Le terrain est propice pour une première oeuvre.
Le projet de La Bouteille, il l’a mûri pendant quatre ans. Non pas par manque d’inspiration, mais plutôt par absence de budget. Une réalité que le cinéaste ne rate pas de souligner en rappelant que ce qu’on nomme ici la "jeune relève" (et que l’on imagine juvénile et fougueuse) a plutôt 30 ans et déjà quelques cheveux blancs. DesRochers a pris son mal en patience et en a profité pour paufiner le scénario, avec la complicité de Benoît Guichard.
Avec La Bouteille, il tente la quadrature du cercle: réaliser un film grand public "et" intelligent. Et ce n’était pas une mince affaire: "Je trouve qu’au Québec, on fait soit du cinéma cérébral que seuls les festivaliers vont voir; soit des films tarte à la crème destinés à un large public… et là-dessus, je ne donnerai pas d’exemples." On peut dire que DesRochers a réussi son pari. Il nous sert un film bien ficelé, porté par des personnages subtils et des dialogues incisifs. On se délecte des péripéties… et l’on réfléchit! L’histoire tourne autour d’une bouteille et de buts fixés. Comment résumer les aspirations de toute une vie sur un morceau de papier? Exercice périlleux que les deux protagonistes ont commis à la veille de la vingtaine en glissant leurs voeux dans une bouteille. Et comme dans une fable, ils se retrouvent 15 ans plus tard, question de vérifier si leurs vies se rapprochent de leurs rêves. Réal Bataille (Réal Bossé) arrive le premier au rendez-vous. Il est impatient de revoir celui pour qui il a nourri une grande amitié. Le loup blanc se pointe 24 heures en retard dans une… Ferrari. C’est que François Lachance (François Papineau) baigne désormais dans l’argent et, par conséquent, manque de temps.
Il débarque, cellulaire à l’oreille, avec la suffisance de ceux qui ont fait fortune aux États-Unis. Le contraste est frappant. Mais, comme c’est l’an 2000, leur fascination des chiffres ronds leur interdit de scruter de trop près leurs différences. Ils retroussent leurs manches et s’affairent à déterrer la bouteille censée contenir les traces graphiques du bonheur convoité. Mais, très vite, ils frappent un noeud coriace: Antoine (l’excellent Jean Lapointe), le propriétaire du terrain, n’entend pas voir son jardin chambardé sans compensation financière. Surtout que sa femme (Hélène Loiselle) frôle la syncope à l’approche du concours du plus beau jardin. Rentre alors en scène l’argent qui gommera les difficultés… Outre la belle direction photo signée Yves Bélanger, simple et bien composée, ce qui impressionne le plus dans La Bouteille, c’est la solidité du casting et la justesse du ton qui empêchent le propos de déraper dans la caricature. On retrouve avec nostalgie le couple Lapointe – Loiselle qui avait marqué les consciences dans Les Ordres, de Michel Brault. DesRochers ne cache pas son bonheur de les avoir réunis à nouveau: "C’est un couple qui a vécu la Crise d’octobre et qui, 30 ans plus tard, dans mon film, cultive des fleurs…"
Et puis, il serait impardonnable de passer sous silence Pascale Bussières dans le rôle d’une jeune femme, enceinte jusqu’aux dents, qui "squatte" chez ses grands-parents: dévergondée, buveuse, baiseuse et grossière, elle est très naturelle! Bref, un film authentique et intègre qui charme et effleure avec intelligence des angoisses bien personnelles. "La question ultime, de préciser DesRochers, est de savoir si l’on a réussi ce que l’on voulait faire dans la vie. Et si oui, est-ce qu’on arrête tout ou est-ce qu’on continue?" Subsiste une curiosité: d’où lui est venue cette idée d’enterrer une bouteille que d’autres auraient jetée à la mer? Confus, le cinéaste avoue avoir vécu cet épisode avec un de ses meilleurs copains. Sur le bout de papier, il avait griffonné le désir de réaliser son premier film avant l’âge de 30 ans. Il en a 35 ans et n’a pas à en rougir car plus de maturité en émane.
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