Les Fantômes des trois Madeleine : Voyages
Cinéma

Les Fantômes des trois Madeleine : Voyages

Avec Les Fantômes des trois Madeleine, Guylaine Dionne signe un premier film étonnant, présenté au printemps dernier à Cannes.

Madeleine, Marie-Madeleine et Mado partent en voyage. Un voyage de Montréal à Gaspé qui, au-delà du déplacement physique, les plongera dans une introspection douloureuse mais salutaire. Trois femmes, trois réalités, trois destins, un passé commun. Elles s’appliquent donc à retrouver les traces d’un fil rompu, celui de leur famille. Une cellule brisée en mille miettes que le simple lien de la filiation n’a pas pu préserver.

Mado (France Arbour, généreuse et combien humaine), victime de la Grande Noirceur, fut anéantie le jour où, au nom de la morale, on arracha de ses entrailles Marie-Madeleine (la sublime Sylvie Drapeau, à la fois forte et fragile). Trente ans plus tard, cette fille de la honte découvre une "mère étrangère". Inspirée par les retrouvailles, Madeleine (Isadora Galwey), fille de Marie-Madeleine, réclamera à son tour son propre père qu’elle n’a jamais connu. Retrouver la mémoire des actes passés et des sentiments trahis deviendra le fil délicat auquel se rattacheront ces trois générations. Le passé visitera le présent. L’avenir se nourrira de leur rencontre.

Avec Les Fantômes des trois Madeleine, Guylaine Dionne signe un premier film étonnant, présenté au printemps dernier à Cannes. Voici un poème en images qui se soustrait à la durée, comme pour mieux s’en saisir. Une histoire hantée de souvenirs et d’escales dans le temps qui ondulent en vagues, lascivement. En entrevue, la cinéaste parle d’un "temps suspendu entre ciel et terre". En effet, là, quelque part entre les deux, trois femmes sondent leur mémoire. Un exercice qui se fera sur la route, dans un espace toujours fuyant. À bord d’une voiture, elles sillonnent les terres et remontent le fleuve comme on remonte à la source des événements. Un road-movie. "En fait, c’est un voyage, précise la réalisatrice. L’idée n’était pas de reproduire un genre. Voyager est une manière de se connaître en accéléré. C’est dans la mobilité qu’on est en quête. Dans notre quotidien, on n’a pas le temps de régler ça."

Et puis il y a les lieux, la terre fondatrice, la force des paysages québécois. Le scénario, Dionne l’a écrit sur la route. Petit à petit, entre Montréal et Percé: "Je voulais faire un film organique, en parfaite communion avec les paysages". Et l’usage du noir et blanc s’y prête à merveille. Des images émouvantes d’une terre trop souvent abandonnée de nos regards traduisent une mélancolie qui enveloppe majestueusement les personnages. Ce voyage les mène jusqu’à l’île Bonaventure, là où les oiseaux ne connaissent nuls tourments de quête ni d’abandon puisqu’ils se déclarent fidélité inlassablement, à chaque printemps.

À sa façon, Marie-Madeleine cultive une drôle de manie, comme pour contrer la cruauté de son destin. Photographe, elle a érigé chez elle un petit muret, peuplé de bouteilles translucides dans lesquelles elle a glissé les photos des gens qu’elle connaît. "Une boulimie de l’identité", qualifie avec amusement la cinéaste. Des expressions figées, des gens qu’elle a capturés et mis en pot, comme pour se préserver de toute récidive d’abandon. À l’image des oiseaux de l’île Bonaventure, elle impose à tous ces êtres une fidélité à son univers. Mado, sa mère biologique, prendra du temps à se faire un nid dans ce muret. Le temps que prend la confiance pour panser ses blessures.

Marie-Madeleine ne cherche ni la confrontation ni les règlements de comptes, mais la vérité. Autant dire une chimère. Car le passé revisité fonde déjà une autre histoire. À travers le dialogue de ses tiraillements, qu’elle livre en narration tout au long du film, Marie-Madeleine est consciente que dans la part de vérité que lui livrera sa mère, se glissera involontairement un peu de mensonge. C’est qu’elle connaît les raccourcis que prend la mémoire et les déformations qu’impose l’érosion des jours aux souvenirs.

C’est pourquoi on les découvre avec émerveillement comme témoins physiques des flash-back. "Ces incursions temporelles, confie la réalisatrice, permettent aux deux personnages d’entrer en contact avec leur passé pour pouvoir annihiler la part de fatalité dans leur histoire." Ainsi, Marie-Madeleine s’immisce littéralement dans les souvenirs de sa mère. Du haut de ses trente ans, elle revit l’insouciance de son père et l’humiliation de la jeune fille que fut sa mère. Elle se voit naître et être abandonnée alors que Mado revoit la petite fille qu’on lui a arrachée. En témoins oculaires, elles scrutent le passé comme pour atteindre une objectivité des faits. "On ne peut pas refaire le passé, explique la cinéaste, mais je voulais qu’on puisse y voyager. On est au cinéma, on peut se permettre ce genre de choses. Et puis on n’est pas là pour dépeindre la réalité. On est là pour se payer des fantasmes, des fantômes…" Un film bien fictionnel qui puise dans la réalité une émotion brute propre aux cinéastes doués.

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