Possible Worlds : La vie rêvée des anges
Avec Possible Worlds, Robert Lepage a réalisé un quatrième long métrage qui confirme autant sa maîtrise formelle du médium que ses limites de cinéaste.
"La vie est ailleurs", lance le poète. "Tout est possible", suppose le scientifique. "Je est un autre", énonce le philosophe. À l’intérieur de ce triangle d’or dont les trois pointes seraient la poésie, la science et la philosophie, Robert Lepage a réalisé un quatrième long métrage qui confirme autant sa maîtrise formelle du médium que ses limites de cinéaste.
Deux policiers (Sean McCann et Rick Miller) enquêtent sur l’assassinat d’un homme (Tom McCamus) retrouvé chez lui, la tête vidée de son cerveau. Est-ce l’oeuvre d’un amant dérangé, d’un scientifique fou, d’un meurtrier sadique, ou d’extraterrestres, pourquoi pas? Il y a bien un admirateur de l’épouse de la victime, un chercheur inquiétant (Gabriel Gascon), et les suppositions farfelues du National Inquirer, mais aucune piste ne conduit quelque part. Et pour cause, puisque la victime écervelée semblait avoir mené plusieurs vies parallèles; mais ça, seul le spectateur complice le sait. "Chacun de nous existe dans un nombre infini de mondes possibles", dit-il à sa future femme (Tilda Swinton), qu’il rencontre dans chacune de ses vies, toujours la même, toujours différente.
Adapté d’une pièce du dramaturge John Mighton (qui en a signé le scénario), Possible Worlds est un exercice de style existentiel en forme d’enquête policière, qui expose une fascinante prémisse voulant que la vie soit à la fois ici et ailleurs. C’est, de plus, une riche parabole sur la nature du cinéma, et peut-être même sur celle de l’amour… Hélas, malgré la maîtrise de plus en plus évidente du réalisateur et la richesse du propos, le résultat est d’une cérébralité glaciale, démonstration élégante et floue d’un concept qui ne parvient jamais à s’incarner.
L’inspecteur en chef qui mène l’enquête garde, dans son bureau, un cerveau de rat stimulé par des électrodes, baignant dans un bocal. Celui-ci réagit, et répond à des stimuli, mais est-il vivant? Et si oui, de quelle façon? Cette "chose" d’une beauté étrange, minimaliste et pure comme un bibelot rare, pourrait bien servir de métaphore au film de Lepage, objet cinématographique qu’on admire de loin, et qui laisse de marbre.
Il y a quelque chose de profondément adolescent dans ces Mondes possibles, mais il manque, au film très adulte de Lepage, la foi propre à cet âge où tous les possibles semblent offerts. Enquêteur en chef, le cinéaste assemble son puzzle pièce par pièce, et dessine ses univers parallèles avec la précision d’un chercheur qui énonce ses hypothèses, mais son regard sur ce fantasme superbe qu’est l’ubiquité est celui d’un scientifique du récit plus que celui d’un poète de l’image – paradoxe d’un film à la fois trop explicatif et trop neutre. On est séduit, au départ, par cette ode au "I am everybody" du héros, mais au fur et à mesure que le mystère s’éclaircit, il révèle sa vacuité.
Avec ses images bleues et grises, son ton clinique, sa propreté esthétique, et son discours froid sur l’identité, Possible Worlds est un prototype de canadian movie. Le premier film de Lepage en anglais est-il une comédie philosophique sur l’identité canadienne?! C’est une possibilité; mais si c’est le cas, il lui manque une âme pour que l’idée prenne corps.
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