Cinemania : Brouillons de cultures
Bain francophile pour cinéphiles polyglottes mais surtout anglophones: la sixième édition du festival Cinemania ouvre ses portes. Une programmation touffue qui mise plus sur la quantité que sur la qualité.
Depuis six ans qu’il existe, le petit festival Cinemania propose des films en français, sous-titrés en anglais, dans la belle petite salle du Musée des beaux-arts. Initiative louable de Maidy Teitelbaum, fondatrice et directrice du festival, Cinemania vise "à exposer et à sensibiliser la communauté montréalaise à des cultures cinématographiques différentes et variées", dixit le site Web de l’événement. Traduction politiquement incorrecte: permettre aux cinéphiles montréalais unilingues anglophones de voir autre chose que des films américains. Preuve supplémentaire du caractère schizophrénique d’une ville majoritairement francophone, et dont une certaine "communauté montréalaise" n’est pas encore exposée et sensibilisée au Quartier Latin, à Ex-Centris, au Parisien (sans parler des défunts Complexe Desjardins et Berri), toutes des salles qui présentent 365 jours par année, "des cultures cinématographiques différentes et variées"… Laissons aux chroniqueurs les considérations sociopolitiques pour se concentrer sur les films de la 6e édition de Cinemania.
Avec 19 longs métrages, dont près de la moitié sont présentés en primeur ou presque, Cinemania 2000 persiste et signe, mais, ironiquement, gagne du terrain sur la quantité plutôt que sur la qualité. Du côté des films déjà montrés en salle, rien à redire. Maelström, Harry, un ami qui vous veut du bien, Une liaison pornographique, Vénus beauté, Les Confessions du docteur Sachs, La Bûche, Les convoyeurs attendent, Le Goût des autres: du coup d’éclat de Denis Villeneuve à celui d’Agnès Jaoui, en passant par les débutants doués (Dominik Moll) et les cinéastes confirmés (Michel Deville), la sélection est impeccable. Même constat pour les films déjà présentés dans d’autres festivals montréalais: Les Destinées sentimentales, d’Olivier Assayas; Une affaire de goût, de Bernard Rapp; Une vraie jeune fille, premier film de Catherine Breillat (Romance); et Drôle de Félix, d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau sont autant de preuves de la vitalité et l’originalité du cinéma français.
C’est dans les primeurs que ça se gâte. Parmi les sept films jamais projetés à Montréal, trois seulement se détachent un peu du lot de la production courante. Il s’agit de Scènes de crime, de Frédéric Schoendoerffer; de Sauve-moi, de Christian Vincent, réalisateur sensible de La Discrète et de La Séparation; et du dernier film d’Alexandre Arcady, cinéaste honnête mais un peu laborieux, qui, avec Là-bas… mon pays, a été le premier réalisateur français a avoir eu le droit de tourner en Algérie depuis 1962. Il en a ramené l’histoire d’un présentateur-vedette du téléjournal français (Antoine de Caunes) qui, répondant à l’appel de détresse d’un amour de jeunesse (Nozha Khouadra), retourne, en 1994, dans le pays de son enfance afin d’aider la fille (également Nozha Khouadra) de celle qui a peut-être été le seul véritable amour de sa vie. Le retour aux sources sera douloureux dans ce pays aux prises avec l’intégrisme musulman. Penchant plutôt vers la nostalgie à la Boujenah que vers le pamphlet politique à la Pontecorvo, Là-bas… mon pays déroule son histoire émouvante de façon on ne peut plus classique, avec flash-back systématiques et mise en scène efficace et sans surprises. Heureusement, dans la peau d’un homme en crise, De Caunes confirme son aisance et sa classe, entre Cary Grant et Jacques Dutronc!
Dans un registre totalement différent, Sauve-moi se situe à mi-chemin entre Ma petite entreprise et La Vie rêvée des anges. Bien loin du parisianisme de La Discrète et de l’étude psychologique de La Séparation, ce petit film aux allures de reportage sociologique montre un groupe d’amis (Roschdy Zem, Karole Rocher, Jean-Roger Milo, Olivier Gourmet) qui se débrouillent comme ils peuvent dans la grisaille de Roubaix, et qui sont chamboulés par l’arrivée soudaine d’une Roumaine enthousiaste (Rona Hartner). Caméra mobile, éclairages ambiants, ton naturaliste: se réclamant visiblement de l’école Dogma, sans pour autant en faire tout un plat, Christian Vincent suit finement ce petit réseau d’hommes et de femmes pour qui le mot solidarité n’est pas qu’un slogan politique. Les acteurs sont tous épatants (particulièrement Rona Hartner), mais le film s’essouffle malheureusement à mi-parcours, faisant du surplace à force de donner dans la chronique.
Polar à la française qui mêle la bonhomie et le détachement d’un Maigret à des scènes crues sorties tout droit du Silence des agneaux, Scènes de crimes suit un tandem d’inspecteurs du Nord de la France, l’un (Charles Berling), futur jeune papa; l’autre (André Dussollier), futur divorcé, qui enquête sur les meurtres de jeunes femmes démembrées. Après un plan d’ouverture impressionnant, où la caméra vole littéralement, comme dans Les Ailes du désir, le premier film de Frédéric Schoendoerffer montre par le menu le parcours pépère et précis d’une enquête qui piétine. Des personnages bien dessinés, une surprise aux trois quarts du film, une finale sobre: Scènes de crimes tient plus du téléfilm solide que de l’oeuvre cinématographique.
N’ayant pas vu Voyous et Voyelles, de Serge Meynard, il ne reste, parmi les primeurs, que La Vache et le Président, de Philippe Muyl; Un ange, de Miguel Courtois; et Tôt ou Tard, d’Anne-Marie Étienne. Le premier est un Conte pour tous sur un petit garçon breton qui débarque à Paris demander la grâce présidentielle pour sa vache condamnée; le second est un polar prétentieux que Richard Berry, en flic blessé et amoureux (original comme casting), et Elsa Zylberstein, en taularde revancharde (pardon?!), n’arrivent pas à sauver; et le troisième est une comédie romantique, et musicale, particulièrement horripilante, sur deux Parisiennes (Amira Casar et Laura Del Sol) qui font de la musique et cherchent l’amour. Du sous-Lelouch dont la fausse légèreté est soulignée par les présences dignes de Philippe Torreton et d’Annie Duperey.
Ironiquement, le succès d’Ex-Centris, et – conséquence directe – le nombre de films français à trouver preneur chez les distributeurs québécois, est probablement l’une des causes de la baisse de qualité des primeurs de Cinemania; Maidy Teitelbaum et son équipe doivent se rabattre sur ce qu’il reste, une fois que les festivals plus importants sont passés par là… Cela dit, si vous avez raté Une affaire de goût, au FFM, ou Drôle de Félix, à Image & Nation, ce sont des valeurs sûres. Avec son vernis de bonne qualité française, et son histoire d’une relation trouble entre un richissime homme d’affaires (Bernard Giraudeau) et son goûteur (Jean-Pierre Lorit), le premier n’est pas sans rappeler Une étrange affaire, de Pierre Granier-Deferre; et le second est une délicieuse comédie grave sur un gai de Dieppe (Sami Bouajila) qui traverse la France sur le pouce, afin de retrouver, à Marseille, le père qu’il n’a jamais connu. Road-movie bucolique et sans compromis, Drôle de Félix a la grâce, la pudeur et la lucidité qu’on retrouvait dans Jeanne et le Garçon formidable, premier film du duo Castel et Martineau.
Sinon, vous pourrez toujours prendre de l’avance en allant voir Les Destinées sentimentales, qui sort en salle le 17 novembre. Deux mois après avoir présenté son dernier film au Festival des Films du Monde, Olivier Assayas est de retour en ville, accompagné cette fois-ci par Emmanuelle Béart, ambassadrice de charme d’une de ces "cultures cinématographiques différentes et variées" auxquelles Maidy Teitelbaum nous expose et nous sensibilise…
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