Goya à Bordeaux : Peinture de moeurs
Cinéma

Goya à Bordeaux : Peinture de moeurs

Francisco Goya, illustre peintre du XVIIIe siècle espagnol, fait partie de ces artistes bénis que la nature a dotés d’un génie visionnaire. Fasciné par l’oeuvre, le cinéaste Carlos Saura s’intéresse surtout à  l’homme.

Francisco Goya, illustre peintre du XVIIIe siècle espagnol, fait partie de ces artistes bénis que la nature a dotés d’un génie visionnaire. Fasciné par l’oeuvre, le cinéaste Carlos Saura s’intéresse surtout à l’homme. Après avoir consacré plus d’un film aux arts de la musique et de la danse (Carmen, Flamenco, Tango), il était presque tout naturel que Saura se penche un jour sur la peinture. Il signe avec Goya à Bordeaux le treizième titre de sa filmographie qui compte autant de films mineurs que de films marquants.

Étrangement, ce dernier film lui a valu le Prix du jury oecuménique lors du FFM de 1999. L’idée d’un prix religieux fait peur. On se demande dans quel genre de conformisme a dû se tremper le film pour mériter pareille mention. Ce que l’on découvre est une fresque cinématographique émouvante de beauté. Le film s’ouvre sur un mouton décapité qui abreuve le sol de son sang écarlate. L’entrée en matière est brutale. La référence est ici faite à un tableau de Goya. Mais au-delà de la citation, l’image suggère la virulence du peintre. Né d’un père paysan qui cultivait un affreux complexe par rapport à sa condition, c’est presque par procuration que le jeune Goya se donna comme ambition de rayonner à la cour espagnole.

Il réussira. Là, devant une monarchie gloussante et insipide, il exécutera des portraits incisifs où il fera passer sa dérision pour un excès de réalisme. Il se complaira faussement dans ce rôle d’artiste officiel jusqu’au jour où l’invasion napoléonienne plongera l’Espagne dans une guerre démentielle. Goya peindra la barbarie sans nom, la cruauté abjecte de l’homme face à l’adversité. Il en résultera une série de tableaux dont la charge et la détresse dépassent l’entendement. Saura montre un artiste à la touche violente, au tracé ravagé, aux couleurs empâtées. Tout comme sa peinture, le peintre est meurtri. Il quittera l’Espagne pour la France. Là-bas, à Bordeaux, il se fera discret jusqu’à ce que, en 1828, la maladie ait raison de lui.

Saura fait démarrer son histoire à Bordeaux. Un vieil homme (Francisco Rabal, juste et convaincant) personnifie le peintre amer. Âgé alors de 82 ans, il se confie à sa fille. Sentant son heure approcher, il remonte avec elle le fil de ses souvenirs. Au-delà de l’artiste, il y a l’homme. Et Saura met plus d’accent sur ce dernier que sur le peintre révolutionnaire que fut Goya. Dans une mise en scène académique, il insiste avec force détails sur sa liaison avec la duchesse d’Alba (l’exquise Maribel Verdu), comme pour satisfaire nos attentes de voir derrière l’oeuvre de l’artiste une muse inspirante. Aussi, par moments, les répliques se font didactiques afin que l’on saisisse bien la pensée du peintre. Mais ce n’est qu’après le film que l’on psychanalyse ainsi la démarche du cinéaste. Car, sur le coup, on se laisse porter par les tableaux vivants (une virtuosité visuelle signée Vittorio Storaro, Le Dernier Empereur) et le récit d’un homme en exil physique et… métaphysique.

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