Himalaya, l'enfance d'un chef : L'air des cimes
Cinéma

Himalaya, l’enfance d’un chef : L’air des cimes

Peu de gens connaissent le toit du monde. Toujours prisonnier de barrières géographiques et politiques, l’Himalaya tibétain reste un lieu mythique. C’est loin, c’est froid, c’est spirituel, c’est grandiose.

Peu de gens connaissent le toit du monde. Toujours prisonnier de barrières géographiques et politiques, l’Himalaya tibétain reste un lieu mythique. C’est loin, c’est froid, c’est spirituel, c’est grandiose. Éric Valli, photographe baroudeur (entre autres pour National Geographic et Géo), a vécu une vingtaine d’années au Tibet, dont deux ans dans une région quasi inaccessible, au nord-ouest de l’Anapurna: le Dolpo. Après l’aéroport de Katmandou, il faut marcher durant des jours avant d’atteindre les villages et les monastères des Dolpo-pa. Valli s’y est fait des amis: un vieux caravanier rigolard, Tinlé; et un lama, Norbou. Le vieux moine, sage bien entendu, aurait dit au photographe de rendre compte de la vie au Dolpo, "avant que la tradition ne fonde comme neige au soleil". Valli est donc allé voir un autre grand manitou français, celui du film nature, Jacques Perrin (Le Peuple singe, Microcosmos). Et Perrin lui a permis de réaliser son rêve: filmer une fiction sur la plus haute terre habitée du globe, et temoigner d’une culture inconnue, et à plus ou moins long terme, en voie d’extinction. "Le documentaire a été très vite écarté, explique Éric Valli, au Japon pour une tournée promotionnelle. Avec la fiction, on peut attraper de très beaux moments de vérité." Les péripéties sont épiques: plus de neuf mois de tournage, un budget défoncé, du matériel volé et retardé, des journées d’attente à moins 25 degrés, des acteurs non professionnels qui parfois se lassent ou se fâchent, une équipe technique exténuée, une avalanche qui a failli emporter le réalisateur, et l’impossibilité évidente de visionner les rushs le soir… L’aventure humaine est réelle et le pari technique, titanesque. Et c’est réussi. La musique est zen, tendance Voix bulgares, et les images sont magnifiques: sur les gris et les ocres, sur le bleu des lacs et la blancheur des cimes, les bêtes et les hommes sont des boules de chaleur. Les yaks laineux ornés de sacs rayés, les manteaux bigarrés, les bonnets orange, l’éclat de l’argent, les turquoises, et les robes tissées… C’est Tintin au Tibet, avec un stylisme hors pair.

Confortablement assis au cinéma, dans une ville occidentale, le spectateur qui ne verra jamais le Népal en a plein les yeux. Il embarque dans Himalaya, séduit par cet ailleurs, par un récit et par le côté vérité des Grands Explorateurs. Quoi! Nous sommes au XXIe siècle, et des hommes vivent encore au moyen-âge! On gobe ce qu’on voit, des moines et des caravaniers aux visages parcheminés par l’air et par la crasse, qui se battent pour survivre dans une nature coriace, où l’arbre est inconnu. Bien sûr, il y a une histoire, celle d’un vieux chef orgueilleux (Tinlé) qui veut diriger la caravane dans les montagnes, contre l’avis d’un jeune fougueux. Le vieux part avec sa bru et son petit-fils, Passang, celui qui sera chef à son tour. La structure romanesque est banale, mais la vie de ces gens est extraordinaire: on est certain de découvrir la réalité actuelle des Dolpo-pa.

Mais l’est-elle encore ou est-ce un rêve nostalgique? "J’ai été l’un des 15 premiers Occidentaux à entrer au Dolpo au début des années 80, qui était alors abrité de l’invasion touristique, raconte le réalisateur. Maintenant, les parents de Karma Wangiel, l’enfant qui joue le rôle de Passang, m’ont demandé, en guise de salaire, de faire donner des cours d’anglais à leur fils!" Les Dolpo-pa commencent à porter des doudounes fourrées, des baskets made in China, et des copies de Ray Ban. Mais on ne le voit pas dans le film. Valli a filmé ce qui a peut-être déjà disparu: une société rude mais élégante, hiérarchisée et solide, avec son lot de sages qui parlent aux yaks et à la montagne, et de libres penseurs qui savent, à l’occasion, se moquer des diktats divins. Ce n’est pas Seven Years in Tibet, mais c’est déjà le Club Aventure…

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