Treize Jours : Souvenirs, souvenirs
Cinéma

Treize Jours : Souvenirs, souvenirs

Treize jours qui ont marqué l’ordre mondial: il fallait du culot pour s’attaquer à un aussi gros morceau que la crise des missiles de Cuba. Avec formalisme et une bonne direction d’acteurs, ROGER DONALDSON a réussi un thriller classique, mais  enlevant.

Roger Donaldson, réalisateur d’origine australienne, avait 16 ans en octobre 62. Il était tellement fasciné par le suspense quotidien de la crise des missiles à Cuba qu’il avait noté événements et impressions dans un journal intime. Aujourd’hui, il fait un film, Treize Jours. Donaldson est l’auteur de No Way Out, où Kevin Costner arborait déjà ses cheveux courts dans la capitale américaine; et de Cocktail, Cadillac Man, White Sands, Species et Dante’s Peak, dont on ne dira rien.

Voilà donc qu’il débarque avec un long film (plus de deux heures) sur le sujet nostalgie par excellence, l’époque mythique de la guerre froide et des Kennedy. Un sujet ô combien casse-gueule: il faut du culot pour donner un nouveau visage au héros mythique de l’Amérique moderne; pour proposer un regard neuf sur une histoire disséquée en essais et analyses depuis 40 ans; et pour penser qu’au début du troisième millénaire, les foules vont se presser au portillon pour un thriller politique avec la "mafia irlandaise" en chemises blanches empesées. Mais la foule peut affluer, car malgré ses précautions, le film fonctionne.

Pour ceux qui ont raté le cours d’histoire, voici un résumé. En 1959, Fidel Castro gagne la révolution cubaine, améliore ses relations avec l’URSS et commence à faire peur à Eisenhower qui organise en avril 61 le débarquement de la baie des Cochons. Entre-temps, JFK prend le pouvoir et c’est lui qui essuiera le cuisant échec de cette invasion qui devait mettre fin à l’époque castriste. Un an et demi plus tard débute la seconde crise cubaine. Et Treize Jours commence en pleine paranoÎa. Un avion U2 qui survole l’île de Cuba prend des photos de missiles nucléaires russes en construction sur le sol cubain. Ces missiles sont capables d’atteindre les grandes villes de la Côte-Est américaine en quelques minutes. La provocation est de taille. En 13 jours s’est joué un bras de fer politique intense entre Moscou et Washington qui aurait pu, à tout moment, dégénérer en conflit armé.

L’Histoire dépasse donc la fiction, et Donaldson a choisi le compte rendu journalier, le chemin le plus sobre pour relater ces journées délirantes. Seul angle neuf, il prend Kenny O’Donnell (Kevin Costner) comme colonne vertébrale de ce récit. Ami, conseiller et analyste du clan Kennedy, il est loyal et direct, à la fois chien de garde, avocat du diable et troisième pilier du trio qu’il forme avec JFK (Bruce Greenwood) et Robert Kennedy (Steven Culp). O’Donnell, c’est Monsieur Tout-le-monde. Avec lui, on pénètre dans tous les milieux. On a droit aux tensions du bureau ovale entre le clan Kennedy (dont Robert McNamara, excellent Dylan Baker) et les militaires toujours prêts à lâcher les chiens. On arpente les couloirs où grimpent les soupçons des médias et où s’élaborent les tactiques diplomatiques. Avec lui, dans des appartés familiaux, on imagine la panique grandissante du public; et, parce qu’O’Donnell les rassure au téléphone, on sent aussi la nervosité des pilotes et des hommes de terrain qui, en première ligne, saisissent soudainement la gravité de l’heure.

Et Costner n’est pas un mauvais pivot. Cet acteur n’a pas eu de louanges depuis des siècles, mais il faut reconnaître que les années 60 lui vont comme un gant, tant par le physique que par les attitudes. Il doit le savoir, puisqu’il est aussi producteur du film. Il joue le pion solide, le saint-bernard en retrait, à côté d’un Bob Kennedy à l’esprit vif, brillant et enflammé, et d’un dieu vivant, JFK, disque dur qui cumule toutes les informations et seul décideur. Les trois s’épaulent sans cesse, évaluant chaque solution d’un regard rapide. Un pouvoir tricéphale: était-ce le cas? Peu importe, l’image répétitive de ces trois hommes qui discutent et se lancent la balle (au propre comme au figuré) dans un ballet complice avec la caméra est presque rassurante, et permet une excellente synergie de jeu. Le Canadien Bruce Greenwood (The Sweet Hereafter) fait date en président américain: il est impeccable. Il personnifie le héros de guerre blessé et l’homme de principes. Intelligent sans avoir de l’esprit, le Kennedy de Greenwood est un ambitieux opiniâtre et courageux qui a voulu le boulot, et qui compte bien le faire. Après les canailleries de Clinton et le manque d’envergure de la plupart des locataires de la Maison-Blanche, cette image de sauveur de l’humanité et de décideur charismatique est d’une effarante pureté! Et pourtant, quelques verres de scotch et un regard vide lancé à Jackie et aux enfants laissent sous-entendre des faiblesses. Mais si, par lui, Donaldson voulait nous faire comprendre que le courage politique (ou simplement la prise de responsabilités) est devenu un anachronisme, la chose est réussie…

L’historique de ces 13 journées permet deux ou trois rebondissements assez haletants, où les nerfs jouent au yo-yo. Si les discussions musclées en huis clos et les décisions coup de poker donnent les scènes les plus intéressantes du film, les échappées aériennes et marines sont les bienvenues. Toujours impressionnants, les décollages sur porte-avions et les alertes sur destroyer. On pourrait reprocher au film son sérieux, sa rectitude, et les confrontations attendues entre les pouvoirs politiques, militaires et diplomatiques; bref, tout ce qui peut rappeler des dizaines d’autres films sur le courage et l’Amérique, mais ce serait passer à côté de la vraie réussite du film: l’impression d’y être, et de vivre cette tension effarante. Donaldson a réalisé un film d’époque. La mise en scène consciencieuse, efficace et franche (où l’on se permet tout de même la fantaisie du passage du noir et blanc à la couleur) s’accorde bien avec le formalisme très mâle que l’on prête aux années 60. Et puis, à l’heure des fusions, des conglomérats et des systèmes, rappeler que la politique en période de crise est avant tout une affaire humaine, et donc aléatoire, a quelque chose de… rafraîchissant.

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