Le Cercle : Haut les coeurs!
Cinéma

Le Cercle : Haut les coeurs!

Un regard d’homme sur le destin des femmes: Le Cercle de JAFAR PANAHI est une prise de position humaine, un soutien pour celles qui se débattent. Un constat pessimiste et franc. Un film dur et sans compromis.

En Iran, plus qu’ailleurs, la situation des femmes n’est plus à exposer. L’image d’une femme emmitouflée dans un tissu austère, trop lourd et trop long pour ne servir que de vêtement, laisse souvent deviner un destin amer. Un jour, Jafar Panahi, cinéaste iranien (Le Ballon blanc), tombe sur un fait divers qui lui glace le sang. Non pas que le phénomène soit inédit, mais le geste décrit suscite chez l’homme une émotion sans précédent. Dans le journal, il est écrit qu’une femme tue ses enfants et s’enlève la vie…

À ce geste désespéré, Panahi répond par un film, Le Cercle. Une oeuvre aussi sombre que lumineuse, car si le récit témoigne d’un réalisme implacable, il émane, des yeux effarés des femmes mises en scène, une poésie miraculeuse et troublante. L’espace d’un film, le cinéaste se propose de cerner celle qu’on handicape au quotidien, celle que l’on persécute à grands coups de tabous, celle que l’on emmure à force d’interdits, celle à qui l’on arrache parfois l’envie de vivre. Et au hidjab (foulard) s’ajoute le tchador (long voile) les couches d’étoffe se superposent ainsi pour un maximum d’hermétisme.

Si les goûts du cinéaste semblaient se tisser jusque là autour de la thématique (hautement métaphorique) de l’enfance, son présent film rompt froidement les attentes avec une noirceur de ton qui ne laisse échapper aucun filet d’espoir. Déjà, le titre n’est pas innocent. Le cercle, forme fatale qui refuse tout échappatoire, se décuple à l’infini et menace constamment de se resserrer si on ne le repousse pas. La femme, universellement symbolisée par les rondeurs, est ainsi prisonnière d’un cercle vicieux: le cercle social.

Le film s’ouvre sur les cris stridents d’une femme qui accouche en hors-champ. La grand-mère se ronge les sangs dans la salle d’attente. La douleur physique de sa fille n’est rien devant l’annonce qu’elle attend. Une fenêtre minuscule s’ouvre sur la porte de la maternité. Une jeune infirmière, laisse tomber, insouciante, la formule lapidaire: "Félicitations, c’est une fille", et referme aussitôt la fenêtre d’un geste violent. La vieille dame en perd la marche, vacille, et tapote sur la fenêtre pour confirmer le drame qui vient de s’abattre sur sa famille. À partir de cette proposition de base, Panahi s’engage à nous démontrer ce qu’il y a de si monstrueux à naître fille dans la société des ayatollahs.

À deux pas de l’hôpital, trois évadées de prison (dont on ignore les crimes) négocient, les yeux pleins d’angoisse, le meilleur plan pour se fondre dans la ville. Bientôt nous ne suivrons qu’Arezou (Maryam Parvin Almani), la plus rêveuse des trois, déterminée à regagner son patelin, mais qui n’ira pas plus loin que la gare. Au moment où son destin se corse, le film donne le relais à Pari (Fereshteh Sadr Orafai), également fugitive, à qui un détour par la maison familiale, mal calculé, a valu le déchaînement brutal de ses frères. Elle erre désormais à la recherche d’une complice qui l’aiderait à avorter de l’enfant qui grandit en elle.

De complice, elle n’en trouvera pas. Par contre, elle croisera une mère (Solmaz Cholami) frôlant l’hystérie après avoir délibérément abandonné sa fillette sur l’autre trottoir. Une dernière complète la ronde, une femme de joie (Mojgane Faramarzi), au regard frondeur et à la sensualité assumée, qui s’apprête à grimper dans le fourgon blindé, la ramenant inlassablement au commissariat.

Un après-midi; quatre femmes; une ville: Téhéran. Au fur et à mesure que la nuit tombe, l’univers s’assombrit, au sens propre comme au figuré. Chaque destin proposé évolue en se nouant davantage. Il n’y a pas de résolutions heureuses, il n’y a que l’urgence de tracer le cercle de l’oppression. La mise en scène de Panahi suggère plus qu’elle ne montre, et la violence n’en est que plus cinglante. Les cadres dans le cadre, les grillages, les fenêtres exiguës, la cour circulaire, l’escalier en colimaçon, la caméra qui tourbillonne: la prison n’est pas derrière les barreaux mais ailleurs. Pire que la liberté de parole est peut-être la liberté de geste refusée à ces femmes recluses dont le droit d’existence passe invariablement par l’accord d’un homme (une femme seule ne peut avorter, ne peut prendre l’autobus, ne peut même pas fumer…). Mais les hommes du Cercle ne sont pas tous des salauds: Panahi condamne un système mais ne se limite pas à un bouc émissaire.

Malgré l’attribution du Lion d’or à Venise, Le Cercle demeure interdit en Iran. Il faut donc regarder ce film rescapé, en spectateur privilégié, tout en gardant à l’esprit qu’il est refusé aux principaux concernés. L’obscurantisme enfante accidentellement parfois des audaces insolentes.

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