La Comédie de l'innocence : L'âge des possibles
Cinéma

La Comédie de l’innocence : L’âge des possibles

Innocence. En raison d’un trop-plein d’innocence, un enfant serait plus enclin à renier sa réalité qu’un adulte encroûté. Possible. Camille (Nils Hugon) fête ses neuf ans bien confortables dans une maison cossue de Paris où des adultes vaguement névrosés surveillent jalousement les artefacts de leur enfance alors que la domestique s’acharne sur des calculs des probabilités.

Innocence. En raison d’un trop-plein d’innocence, un enfant serait plus enclin à renier sa réalité qu’un adulte encroûté. Possible. Camille (Nils Hugon) fête ses neuf ans bien confortables dans une maison cossue de Paris où des adultes vaguement névrosés surveillent jalousement les artefacts de leur enfance alors que la domestique s’acharne sur des calculs des probabilités. Autour de la table, les parents du garçonnet et son oncle (Charles Berling) ne tarissent d’éloges pour lui. Soudain, la lèvre boudeuse, Camille lance la question qui figera les gestes au-dessus des assiettes: "Et toi, maman, tu étais là quand je suis né?" Dit de la sorte, c’est presque mignon, mais l’enfant n’entend pas à rire. Il remet froidement en cause la matrice de son identité. Agacé, son père lui demande de cesser le caprice. Mais le caprice est celui de Raoul Ruiz. Une fois de plus, le cinéaste chilien se joue de la réalité au profit du factice et de l’irrationnel.

Inconsolable, l’enfant revient à la charge et tire un rideau opaque entre lui et sa mère qu’il appelle désormais par son prénom, Ariane (Isabelle Huppert, glaciale). Par excès de patience ou par manque d’autorité, la mère se laisse prendre au jeu et accepte que le fantasque enfant la conduise chez sa "véritable" mère. Le suspense se tisse sur une trame sonore hitchcockienne (cris, grincements) et sur des personnages des plus étranges. Pourtant, Ariane sait pertinemment qu’elle a enfanté ce garçon. Le lien filial est une fatalité que Ruiz s’amuse à poser comme relevant du libre arbitre. La proposition est insolente et absurde comme une scène de Buñuel. La supposée génitrice (Jeanne Balibar, énigmatique à souhait) se pointe enfin. Dans un élan de générosité, elle propose à Ariane de partager avec elle la garde de l’enfant. Pas plus scandalisée que si elle apprenait une crevaison sur sa Mercedes, Ariane réplique qu’il se fait tard.

Pourquoi une telle apathie là où d’autres auraient versé des torrents de larmes après avoir mis Interpol sur le dossier? Parce que c’est Ruiz et que rien ici n’a l’obligation de faire sens, surtout pas le jeu des acteurs. C’est alors qu’intervient Berling (un air constamment absent) en psychiatre et gardien de la raison. Il s’attache à de menus détails et trouve que l’affaire tombe bien mal alors qu’ils essayaient de vendre la maison. Il aura tout de même la sagesse de convoquer un juriste qui leur dira où commencent et s’arrêtent leurs droits. Le combat s’engage alors entre, d’un côté, l’inexplicable et, de l’autre, le rationnel. Dans l’ombre de ce combat s’articule une autre lutte: cette fois entre le possible (tout ce qui pourrait arriver) et le souhaitable. Or, le possible implique invariablement une part de malheurs (les accidents qui jalonnent l’histoire).

Après avoir minutieusement posé tous les éléments de réflexion sur le hasard et la nécessité, Ruiz nous catapulte un dénouement digne de Colombo où tout finit par s’expliquer avec une limpidité implacable. Par paresse, il aura réussi à saboter un film potentiellement marquant en ramenant tout son univers absurde au plancher platement logique. Dommage, la promesse était si belle.

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