Chansons du deuxième étage : Humain, trop humain
Cinéma

Chansons du deuxième étage : Humain, trop humain

Des personnages bourrus aux gueules caractérielles semblent hurler une douleur intérieure combien familière. Une douleur reconnaissable presque par instinct: le mal de vivre

Chansons du deuxième étage

ne ressemble à rien de connu tant l’esthétique est glauque et le propos austère. Roy Andersson aurait pu intituler son oeuvre: "Complainte du quatrième sous-sol" tant l’humeur ne se prête pas aux steppettes. Des personnages bourrus aux gueules caractérielles semblent hurler une douleur intérieure combien familière. Une douleur reconnaissable presque par instinct: le mal de vivre. Évidemment, ils pourraient arborer un sourire complice et s’imbriquer dans des intrigues rebondissantes. Mais voilà, la simple existence leur pèse autant que leur monde les étouffe.

Roy Andersson est un cinéaste suédois qui s’économise. Frisant la soixantaine, il signe ici son troisième film. On le disait prometteur dans les années 70 et puis il s’est tu. Pas complètement puisqu’il a fait sa marque à travers des messages publicitaires singuliers qui lui ont valu respect et autonomie. Il pris alors la liberté d’étaler sur quatre ans la réalisation des multiples idées vagabondes qui l’habitaient. Avec un parti pris cependant: le refus acharné des clauses narratives conventionnelles et un goût déclaré pour le plan fixe, la profondeur de champ et les scènes hautement contrôlées en studio. Résultat: 46 plans-séquences vitrioliques.

L’oeil hagard et le teint farineux, Kalle (Lars Nordh) débarque longtemps après le début du film, la gorge nouée de remords. Il a volontairement enflammé sa boutique pour toucher une prime d’assurance. Démasqué, il devra se recycler dans le commerce stérile de crucifix, lui qui trouvait le destin déjà bien cruel de l’avoir affublé d’un fils névrosé. Tout aussi peu enviable, un autre se cramponne aux pieds de son patron à l’allure de porcelet (joli clin d’oeil aux peintures d’Otto Dix), se prêtant ainsi à une scène d’humiliation qui fera de lui la serpillière du couloir. Jamais bien loin, des "revenants" harcèlent les consciences alors que des décideurs scrutent l’avenir dans une boule de cristal et qu’un général sénile et incontinent attire l’état-major pour son centième anniversaire.

Dans ce monde désenchanté, même l’illusion n’est plus possible. Ainsi, pour divertir l’assistance, un magicien tente le coup du volontaire coupé en deux et échoue lamentablement puisqu’il scie littéralement le ventre du pauvre badaud qui s’est prêté à son jeu. Inspiré par la cupidité ambiante et les agitations vaines, Andersson propose ici un portrait peu reluisant et inconfortable d’une société trop souvent embourbée dans le spectacle et les conventions. Incontournable.

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