Les Autres : L’île noire
Les Autres , de l’Espagnol ALEJANDRO AMENABAR, s’affirme comme un thriller classique à l’esthétique soignée et au scénario finement ciselé. Quand l’art de la suggestion prédomine.
Un manoir centenaire sur une île brumeuse, de longs couloirs qui s’évanouissent dans la pénombre, des manifestations qui offensent la raison, une maîtresse de maison infiniment dévote et une nouvelle gouvernante anormalement gentille. Ce sont là les pierres d’assise de ce thriller dans les règles de l’art. Plusieurs en conviendront, en matière de finesse de scénario et de maîtrise du suspense, les Espagnols sont tranquillement en train de déclasser les apôtres des giclées de sang car ils savent suggérer plutôt que montrer, laissant à notre imagination le soin de se figurer le pire.
Tout à fait conscients de ce talent ibérique, les Américains n’allaient pas tarder à partir à la pêche. Et à l’hameçon, mord un poisson de taille: Alejandro Amenabar. Son précédent thriller, Open your Eyes, fait d’ailleurs l’objet d’un remake revampé par Cameron Crowe. Âgé d’à peine 29 ans, il boucle, avec Les Autres, un troisième long métrage esthétiquement impressionnant et fort respectable dans la tradition du conte inquiétant qui emprunte à Hitchcock ses tensions délectables et sa musique tournoyante.
Premier film en anglais donc pour cet Espagnol qui n’a pas gommé sa touche au profit d’un studio. Il y a la trame de base, linéaire certes, mais solidement charpentée. Et puis, au détour de l’intrigue figure une originalité, une extravagance qui soustrait le film au convenu. Un dénouement qui, loin d’éradiquer le mal, laisse songeur quant à l’avenir des revenants et autres réalités intangibles. C’est presque une invitation à reconsidérer l’irrationnel au sein de notre conscience proprette et clinique.
Humble représentante du paradoxe moderne, Grace (Nicole Kidman, absolument convaincante, elle saura largement se racheter auprès de tous ceux qu’elle aura profondément irrités en meneuse de claques souffrante) embrasse sans sourciller tous les miracles bibliques mais rejette ce qui, dans sa réalité, échappe aux explications. En mère aimante et obsédée par la lumière, qu’elle pense nuisible pour ses enfants, elle règne fébrilement sur un manoir anglais aussi immense qu’angoissant. Avec une rectitude suffocante, elle s’y occupe à parfaire la morale chrétienne de ses rejetons dans des scènes qui rappellent avec délice Le Château de la pureté d’Arturo Ripstein. Un mirage de stabilité qui redeviendra mouvant lorsque des entités s’imposeront et réclameront leur part du réel. Le fameux parallélisme des deux mondes est on ne peut moins sûr.
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