Eisenstein : Plan rapproché
Cinéma

Eisenstein : Plan rapproché

Après un tout petit siècle d’existence, le septième art a déjà commencé d’explorer la vie et l’oeuvre de ceux qui en ont créé le langage: de Griffith, dans Good Morning Babylonia, à Murnau, dans Shadow of a Vampire. Tourné en Russie, en Ukraine et au Mexique, Eisenstein, de Renny Bartlett, est certainement la plus ambitieuse de ces biographies de bâtisseurs du cinéma.

Après un tout petit siècle d’existence, le septième art a déjà commencé d’explorer la vie et l’oeuvre de ceux qui en ont créé le langage: de Griffith, dans Good Morning Babylonia, à Murnau, dans Shadow of a Vampire. Tourné en Russie, en Ukraine et au Mexique, Eisenstein, de Renny Bartlett, est certainement la plus ambitieuse de ces biographies de bâtisseurs du cinéma. En effet, le réalisateur canadien a tenté, en s’inspirant de la vie du cinéaste russe, de faire le portrait d’un homme à l’existence mouvementée, et du contexte politique dans lequel il a créé. Entreprise honorable, qui a donné un film honorable…

En 1925, Sergei Eisenstein (Simon Mc Burney, excellent) réalise, à 27 ans, Le Cuirassé Potemkine, puis Octobre, deux ans plus tard, pour commémorer les 10 ans de la Révolution bolchévique. C’est la gloire, et la reconnaissance mondiale, qui le mènera jusqu’à Hollywood. Après un séjour exaltant au Mexique, avec son ami-amant Grisha (Raymond Coulthard), où il tourne Que Viva Mexico!, grand film avorté, Eisenstein revient à Moscou, sur ordre du Kremlin, et rentre dans le rang. Il se marie avec Pera (Jacqueline McKenzie), signe Alexandre Nevsky, ode à la puissance soviétique, et renoue avec le pouvoir. Consacrant surtout son temps à l’enseignement, Eisenstein réalise son chef-d’oeuvre avec Ivan le Terrible, en deux parties: la première, applaudie par Staline; la seconde, conspuée par le régime, alors qu’il est clair que le cinéaste condamne le tyran. Il meurt, à 50 ans, d’une crise cardiaque, en 1948.

Dépeindre un grand créateur, doté d’une personnalité aussi complexe, et évoquer une époque aussi troublée, où l’art entretint avec la politique des rapports incestueux, parfois exaltants, parfois étouffants: l’ampleur du projet était énorme. Heureusement, Bartlett a choisi (par la force des choses) l’approche intimiste. Les seules scènes de foule et les seuls grands décors qu’on y voit sont ceux des films d’Eisenstein. On peut comprendre et justifier ce regard minimaliste sur une période qui ne l’était pas, par les moyens limités que peut se permettre la cinématographie canadienne. On peut accepter la convention voulant que des acteurs canadiens incarnent des Russes, avec un léger accent british (même si on grince des dents lorsque l’amant d’Eisenstein lui lance "You’re not Jesus fucking Christ!"). Après tout, les grands personnages de l’Histoire appartiennent à tout le monde… Mais on peut difficilement ignorer le gouffre qui sépare les images du Cuirassé Potemkine et d’Ivan le Terrible de celles du film de Bartlett, qui, bien évidemment, souffrent douloureusement de la juxtaposition des deux.

Le cinéaste n’a, heureusement, pas essayé de "faire du Eisenstein", privilégiant une mise en scène plus englobante; mais ce consensus dans la forme fait d’autant plus ressortir les canadian qualities (aspects techniques impeccables, idées fortes mais désincarnées, manque de contrastes) de ce long métrage honnête, mais trop sage. Dommage.

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