Image + Nation : Tour du monde
Cinéma

Image + Nation : Tour du monde

Avec plus de moyens et plus de public, le cinéma gai et lesbien se diversifie, du court métrage expérimental à la production commerciale. La 14e édition du Festival international de cinéma gai et lesbien de Montréal rend bien compte de cette ouverture et de cette diversité, avec 260 productions, provenant de 25 pays.

Par-delà sa thématique spécifiquement gaie et lesbienne, Image + Nation est également, comme tout festival international qui se respecte, une invitation au voyage. Si les États-Unis tiennent toujours le haut du pavé, l’Irlande et l’Islande, le Zimbabwe et la Thaïlande, la Grèce et la Corée, l’Allemagne et le Japon, l’Argentine et Taïwan, la Hongrie et l’Afrique du Sud seront au rendez-vous. Pour sa quatorzième édition, ce "petit" festival, qui persiste et signe, contre vents et marées, rendra donc compte d’une production mondiale de plus en plus variée, de plus en plus éclatée, et de plus en plus mainstream. C’est la rançon de la gloire: avec des moyens financiers grandissants, un cinéma commercial qui s’empare de thématiques et de personnages autrefois cantonnés aux films gais, une distribution en salles plus soutenue, et un public plus ouvert, le "queer cinema" (principalement américain) adopte souvent un ton télévisuel. À l’heure où la tendance générale est à l’intégration sociale, le cinéma gai suit le courant. À preuve, le nombre de films déjà sortis en salles commerciales, disséminés dans les 10 jours de la programmation.

Hormis les classiques Mort à Venise, de Visconti, et Mephisto, d’Istvan Szabo, on pourra donc revoir Before Night Falls, de Julian Schnabel, évocation bouleversante de la vie chaotique de l’écrivain cubain Reinaldo Arenas (Javier Bardem, fabuleux); La Confusion des genres, d’Ilan Duran Cohen, avec Pascal Greggory, et Une affaire de goût, de Bernard Rapp, avec Bernard Giraudeau, deux films français sur l’ambiguïté sexuelle de deux séduisants quadragénaires; Hedwig and the Angry Inch, délirant film musical rock-glam-trash de John Cameron Mitchell; La Répétition, de Catherine Corsini, avec Pascale Bussières et Emmanuelle Béart en meilleures ennemies; et Le roi danse, de Gérard Corbiau, approche classique des liens platoniques entre le jeune Louis XIV (Benoît Magimel) et Lully (Boris Terral). Déjà présentés dans des festivals montréalais, Taboo, de Nagisa Hoshima, et 101 Reykjavik, de Baltasar Kormakurslande, avec Victoria Abril, sont deux excellents films, dont on se demande pourquoi ils ne sont toujours pas sortis en salles?

En ouverture, La Vierge des tueurs, de Barbet Schroeder (Barfly, Reversal of Fortune), ou la liaison destructrice entre un écrivain vieillissant et un jeune voyou, en Colombie, pays d’origine du cinéaste (voir article page XX). Parmi les 260 productions présentées, voici un bref survol de celles qu’on a pu voir. Premier long métrage de Dana Nechustan, Total Loss remonte le fil d’une intrigue qui démarre avec trois hommes impliqués dans un accident de voiture, la veille du jour de l’An, à Rotterdam. Qui sont-ils? Qui aime qui? C’est ce que la cinéaste néerlandaise nous dévoile peu à peu, par des flash-back imbriqués les uns dans les autres comme des poupées russes. Une réalisation remarquablement maîtrisée pour un coup d’essai; un trio de comédiens à la hauteur; une ambiance tendue et sobre pour cette parabole sur les jeux de pouvoir et de manipulation.

Autre belle découverte (au Festival de Toronto 2000): Chill Out, d’Andreas Struck. Symptomatique du nouveau cinéma allemand, c’est à la fois l’étude nuancée d’un trio amoureux (un jeune hétéro, une femme dans la trentaine et un gai, qui partagent un appartement), et une parabole prenante sur un pays qui se réinvente. Également vu à Toronto, l’an dernier, Iron Ladies, de Yongyooth Thongkonthun, est une comédie thaïlandaise, tirée d’une histoire vraie, à mi-chemin entre Priscilla, Queen of the Desert et The Full Monty. En 1996, les championnats de volley-ball thaïlandais furent remportés par une équipe formée de joueurs gais, de quelques travestis et d’un transsexuel! Avec beaucoup d’aplomb, d’humour et de simplicité, Iron Ladies retrace l’incroyable odyssée de cette poignée d’hommes, de leur village natal à la compétition nationale.

Variation élégante sur le thème des amours impossibles, Fleeing by Night, de Li-Kong Hsu et Chi Yin, raconte l’histoire d’un violoncelliste chinois, qui, après avoir passé sa jeunesse aux États-Unis, rentre chez lui pour épouser une cousine. Hélas, les futurs mariés tomberont tous deux sous le charme d’un acteur d’opéra, lui-même sous la coupe d’un mécène possessif. Étalant leur intrigue sur quatre décennies, les deux cinéastes taïwanais ont réussi à insuffler, au traitement classique de leur film, une nostalgie poignante et sobre.

Sur le thème éculé des premières amours, Nico et Dani, de l’Espagnol Cesc Gay, examine avec franchise, et beaucoup de justesse, la découverte de la sexualité chez deux adolescents passant un été dans la maison de plage des parents de l’un d’eux. Un regard sans détour, qui renouvelle le genre. Toujours en espagnol, mais de l’autre côté de l’Atlantique, Burnt Money (Plata Quemada), de Marcelo Pineyro, s’inspire des frasques de Bonnie & Clyde argentins (ou plutôt de Clyde & Clyde…), un couple de gangsters, amants terribles, qui, en 1965, de Buenos Aires à Montevideo, furent poursuivis par la police, après avoir tué un flic, lors d’un hold-up raté. Avec une voix-off envahissante, et le ton classique des films de gangsters des années 70, Burnt Money pourrait bien être un genre de version gaie de Borsalino

Est-ce attribuable à la sélection de films disponibles aux visionnements? Toujours est-il que les longs métrages américains, vus cette année, ne se distinguent pas par leur originalité. Maintenant que Will & Grace et autres Queer As Folk font les beaux jours de la télévision US, le cinéma gai prend une tangente franchement grand public. Dans The Weekend, Brian Skeet montre un couple de bourgeois new-yorkais, vivant au bord d’un lac, et qui, pour commémorer le premier anniversaire de la mort, des suites du sida, du demi-frère du mari, invite l’ex-chum du défunt. Celui-ci débarque avec son nouveau chum, auquel se joindront une voisine excentrique et sa fille, actrice dans des films d’action. Si les noms de Gena Rowlands et de Brooke Shields attirent l’attention, ce "movie of the week" ne tranche en rien sur la production courante: dialogues psychologisants et vérités convenues sur la vie, la mort, l’amour, bla-bla-bla… Malgré un sujet plus brûlant (un jeune blanc-bec débarque à Los Angeles, et tombe amoureux d’un acteur hétéro de films pornos gais), The Fluffer, de Wash West et Richard Glatzer, est tout aussi tiède. Des images aux personnages, en passant par la mise en scène et la conclusion, prévisible, tout est timide, dans ce long métrage aux saveurs de téléroman.

C’est certainement dans les documentaires que le cinéma gai et lesbien se distingue le plus. Avec des sujets aussi divers que le cancer du sein (My Left Breast), un spectacle de Margaret Cho (I’m the One That I Want), l’homosexualité chez les animaux (Out in Nature), les eunuques indiens (Bombay Eunuch), Magnus Hirschfeld (The Einstein of Sex) ou l’homo-érotisme des péplums des années 50 (Sons of Hercules), les films-documentaires témoignent d’expériences de vie extrêmes ou quotidiennes, reflets on ne peut plus variés de réalités multiples. Là, on peut trouver un film-choc, soit Trembling Before G-D. Pendant de longues années, Sandi Simcha Dubowski a recueilli, de la Californie à Israël, en passant par Londres, Brooklyn et Miami, les témoignages de juives et de juifs hassidiques homosexuels! Sur ce terrain miné d’avance, le cinéaste avance avec assurance, déjouant les pièges d’un parti pris trop hâtif, laissant toute la place à ces femmes et à ces hommes tentant de concilier orthodoxie religieuse et identité sexuelle. Troublant. Dans un registre qui tient presque du canular, Digital Sex, du Britannique Mark Harriot, est une recension hétéroclite des bizarreries du comportement sexuel humain. Au programme: adeptes du cyber-sexe, du latex ou des poupées grandeur nature, hermaphrodites, transsexuels masculins et féminins, travestis, et autres self-suckers… Un vrai catalogue Sears, monté n’importe comment.

Tant qu’à être dans les bizarreries, glissons un mot sur Plushies and Furries, de Rick Castro, court métrage abracadabrant sur les gens qui se rencontrent et baisent, habillés en mascottes! Il y aurait, paraît-il, 20 000 de ces "furries" aux États-Unis. Ronald McDonald en ferait-il partie?!

Les productions québécoises sont plutôt rares, cette année. Hormis Coming Out, de Jean-François Monette, documentaire sur la "sortie du placard " à la québécoise, et La Reine Mado, dans lequel Annie Blouin retrace le parcours haut en couleur de Mado Lamotte, soulignons Viens dehors!, d’Éric Tessier, un délicieux et surprenant court métrage, dans lequel David La Haye et Pascale Montpetit se retrouvent en Palestine, il y a quelque 2000 ans. En dire plus gâcherait le punch final, hilarant.

Du 20 au 30 septembre
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