Une jeune fille à la fenêtre/Francis Leclerc : Une histoire simple
Le sujet, c’est la mort. On le sait dès le début, on le vérifie au bout du compte. Mais quand on sait que la fin est très proche, et c’est le cas de Marthe, l’héroïne d’Une jeune fille à la fenêtre: il n’existe que deux options, celle de la cigale ou celle de la fourmi.
Le sujet, c’est la mort. On le sait dès le début, on le vérifie au bout du compte. Mais quand on sait que la fin est très proche, et c’est le cas de Marthe, l’héroïne d’Une jeune fille à la fenêtre, il n’existe que deux options: celle de la cigale ou celle de la fourmi. On se brûle dans la vie ou l’on s’économise dans la peur. Marthe choisit de vivre en accéléré, dans le tourbillon des années 20, dans la région de Québec.
Un film sensible et délicat; une histoire d’hiver chapeautée par un titre qui lui va bien. Une oeuvre qui a atteint ses ambitions, celles du metteur en scène Francis Leclerc. Avec ce premier long métrage, Leclerc s’est retrouvé en compétition officielle au FFM; et aussi parachuté dans la meute médiatique, qui, amadouée, ne lui a pas servi de douche froide. D’où l’aisance: "Je ne vise pas a priori un succès commercial, mais je fais ce que je peux pour aider mon film. J’ai réalisé ce film pour moi, mais je ne pense pas que mes goûts soient très différents de ceux des autres. Et tant mieux s’il touche des madames, mais également des jeunes de 20 ans." Leclerc est connu pour ses courts métrages, pour l’adaptation télévisuelle des Sept Branches de la rivière Ôta et pour la réalisation de nombreux clips, dont ceux de Kevin Parent. Pour Une jeune fille à la fenêtre, il s’est inspiré d’un personnage réel: Marthe étant la soeur de son père, Félix, musicienne, atteinte d’une malformation cardiaque et décédée très jeune.
Petite histoire que celle de Marthe (Fanny Mallette), jeune fille de la campagne qui, atteinte d’une maladie cardiaque débilitante, promet d’épouser un voisin (Denis Bernard) en échange d’une somme d’argent qui lui permet d’aller prendre des cours de piano en ville. Là, baignant dans un milieu artistique en ébullition, Marthe s’émancipe, fume, boit, danse et s’amuse. Ses amis (Louis-David Morasse, Daniel Parent, Rosa Zacharie, Évelyne Rompré) lui font découvrir la bohème. L’existence sans contraintes prend fin quand Alfred (Louis-David Morasse) part étudier à Paris; quand son amant, le trompettiste de jazz Oliver (Richard Fagon), retourne à Chicago; et quand ses forces commencent à manquer.
Si la musique s’éteint avec Marthe, le film ne tord pas le coeur. Il n’y pas de gros violons. "Je ne voulais rien savoir d’un orchestre philharmonique, raconte Leclerc. Mais Schubert comme le jazz sont indissociables du sujet." À sujet triste, traitement sobre: "La facture du film est classique, j’ai fait un film sage mais pas académique, explique le réalisateur dans la trentaine, cinéphile qui penche vers Bergman, Tarkovski, Kieslowski, Jarmusch et Truffaut. Je n’ai pas privilégié une approche explicative, mais plutôt lyrique. Et je trouve que le film est encore trop bavard! L’image doit parler. Moi, j’aime plutôt les films où il ne se passe rien. J’aime bien les ambiances." Et l’ambiance d’Une jeune fille à la fenêtre est froide dans ses tons hivernaux, et moderne dans son approche; un peu à la façon des Destinées sentimentales d’Assayas. Sa sensibilité historique penche plus vers J. A. Martin, photographe que vers Les Filles de Caleb: pas de bondieuseries, pas de prêchi-prêcha, pas de stéréotypes; mais des dialogues courts et justes, naturels dans cette façon de cacher les vrais sentiments, mettant ainsi en relief la force d’un amour entre une soeur et son frère Léo (Hugues Frenette), entre une fille et sa mère (Johanne-Marie Tremblay), et entre Marthe et son amour de passage. Plans-séquences, économie d’effets, suggestion du hors-champ, on joue aussi la rigueur dans le traitement filmique. Une réussite scénaristique en partie due à Marcel Beaulieu. On a également évité l’époque carton-pâte. "La télévision a mis cette époque-là dans un moule, dit-il, mais il ne faut pas prendre nos grands-parents pour des enfants de choeur, il y avait cette émancipation, et l’influence de Paris était forte; Alfred, c’est Pellan qui, le premier, a reçu une bourse pour aller en France." On y voit aussi des suffragettes, un chauffeur de taxi dubitatif (Jean Lapointe) et une prof de piano un peu trop Castafiore (Diane Dufresne). La reconstitution est frugale, mais bien choisie.
Si la froideur du traitement frise parfois l’ennui (notamment dans les scènes d’atelier, avec les copains de bohème), on accroche toutefois aux jeux subtils de Mallette et de Frenette, aux non-dits très bien décrits de Denis Bernard, à l’amour silencieux d’une mère. "Je ne regrette pas mes choix artistiques, j’ai bien su m’arranger", dit l’auteur. En gros, c’est ça.
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