FCMM : Suite et fin
Cinéma

FCMM : Suite et fin

Arrêts sur images, livre, événements, films choisis: travail de glanage en fin de parcours de ce 30e FCMM.

Le cinéma se porte à merveille, merci. Mais dans le fond, ça coince encore sur le plan de la violence, du vide existentiel, et autres déceptions humaines. Les gens heureux n’ont toujours pas d’histoire, et voici quelques bons films pour voir ce que ça donne.

Dog Days
Un veuf qui branche sa tondeuse pour couvrir les engueulades de ses voisins; une divorcée qui participe à des orgies, avant d’aller déposer des fleurs sur la tombe de sa fillette, au bord d’une autoroute; un vendeur de systèmes d’alarme qui se change dans un chantier désert; une fille obsédée par les statistiques et la pub, qui fait du pouce, et parle sans arrêt; un petit macho de merde qui fout des baffes à sa blonde dans un parking; une femme seule qui se coupe les poils pubiens, au milieu de l’après-midi, avec un petit ciseau: les protagonistes de Dog Days sont presque tous des monstres ordinaires, banlieusards de Vienne, écrasés par une canicule d’août, et incarnés, pour la plupart, par des acteurs non professionnels.

Avec la rigueur d’un Stanley Kubrick, et l’humour noir d’un David Lynch, le cinéaste autrichien Ulrich Seidl montre très crûment l’étrangeté et la violence de la vie dite normale, et signe un Ice Storm sans merci, dans lequel la réalité la plus triviale a des allures de cauchemar. Troublant. (É. F.)

Je rentre à la maison
Ça commence par "Je n’obéis pas", et ça finit par "Je rentre à la maison". Entre les deux, Manoel de Oliveira suit un célèbre acteur de théâtre (Michel Piccoli) qui, après avoir perdu toute sa famille dans un accident de voiture, sauf son petit-fils, finira par accepter son deuil et sa condition d’acteur en fin de parcours.

À 93 ans, le cinéaste portugais signe un de ses films les plus sereins. Entremêlant scènes de la vie quotidienne et extraits de grands textes (Le roi se meurt, La Tempête, Ulysse), il installe une mise en scène qui respire, filmant de face et en plans larges, ou bien carrément décalé, derrière une vitre, des coulisses plutôt que de la scène, du point de vue de celui qui écoute plutôt que de celui qui parle, montrant bien que la vie est ailleurs… Catherine Deneuve et John Malkovich font des apparitions, respectivement hiératique et cocasse; et le regard perçant d’intelligence de Piccoli – entre la détresse et l’enchantement – porte de bout en bout ce film simple et touchant, qui traite avec légèreté de questions graves. (É. F.)

L’Emploi du temps
Laurent Cantet ou le degré zéro de l’affabulation. Ce réalisateur lancé après un premier long métrage remarquable et remarqué, Ressources humaines, semble continuer dans sa lignée de réalisme pur beurre avec L’Emploi du temps, une histoire ressemblant à celle de L’Adversaire, d’Emmanuel Carrère. Vincent (Aurélien Recoing) n’ose pas dire à sa femme (Karin Viard) et à ses trois enfants qu’il a été licencié. Il prétend même qu’il vient de trouver un poste important à Genève, au sein de l’ONU. Ses parents lui prêtent de l’argent, il en soutire à ses amis et continue de mentir jusqu’à ce que tout pète.

Comment filmer la traversée du désert de l’homme moyen? Ce trou noir dans lequel on peut basculer et tout perdre, Cantet le filme de façon aussi pénible, lente et pesante que peut être la désintégration d’une estime de soi. En deux heures, on a le temps de sentir, jusqu’au dégoût, à quel point le vide des jours sans travail peut devenir horrible. On a le temps de s’ennuyer, de craindre le pire. Karin Viard a trouvé un partenaire à sa hauteur: Recoing est étonnant de justesse, l’air aussi bonhomme que dangereusement inquiétant. On pense à Chabrol, et à des héros mornes de Fassbinder. Un prêt à réfléchir sur l’absurde obsession de l’image sociale du travail. Terrible. (J. R.)

Chopper
Quelle bizarrerie, ce type! Mark "Chopper" Read, criminel australien, est une légende en soi. Dans une prison à sécurité maximum, Chopper se fait attaquer par ses potes. Pour se faire transférer dans un autre secteur, il se coupe les oreilles. Une fois sorti, il se prend pour un justicier envoyé par la police pour "nettoyer" la ville de Melbourne de ses criminels. Attaque, meurtre: il retourne en taule où il écrit ses mémoires. Après la lecture de son premier livre, Andrew Dominik, un réalisateur de clips, a craqué pour le personnage.

Film direct, traité en flash-back et en couleurs saturées, Chopper sait distiller ses moments d’angoisse. Quand le gars est sur le point d’exploser, on ne veut pas vraiment savoir ce qui va suivre. Le rôle-titre est joué par un stand-up comic australien, une star du cru, Eric Bana, géant formidable dans ce rôle de bombe à retardement. Si le but était de rendre compte du caractère naïf, mythomane, paranoïaque, prétentieux, manipulateur, à la fois simpliste et très complexe du dénommé Chopper, Andrew Dominik a parfaitement réussi. Cet individu est une énigme. (J. R.)

Millenium Mambo
Il ne se passe pas grand-chose pendant les deux heures que dure le film, mais c’est normal quand on veut capter le vide de l’existence. Et plus précisément celui des jeunes filles que le réalisateur Hou Hsiao Hsien se représente comme des fleurs fanées avant d’avoir eu le temps de fleurir. Il ne se passe pas grand-chose, certes, mais qu’est-ce que c’est beau… Hou Hsiao Hsien, le Taïwanais du Maître des marionnettes, de La Fille du Nil et de Cité des douleurs, imagine quelques instants dans la vie de Vicky (Shu Qi), jeune beauté ballottée entre l’alcool, la vie nocturne, un copain jaloux et violent, et un protecteur un peu mystérieux.

Peu de dialogues, pas de confession, beaucoup de cigarettes: le néant devient pesant. Pour un peu, on s’ennuierait presque autant que Vicky et ses copains. Mais Hou Hsiao Hsien bouche le silence radio de ces papillons de nuit avec une excellente musique techno, envahissante et agaçante, qui prend la place d’un rôle. Et, surtout, il nous sert cette panne existentielle sous une forme splendide: le directeur-photo, Mark Lee Ping-Bing, est le chef opérateur du réalisateur depuis longtemps; mais il a aussi oeuvré sur In The Mood for Love, de Wong kar Wai, et À la verticale de l’été, de Tran Anh-hung. Autant dire que le vide n’a jamais été aussi beau… (J. R.)


Un livre
Ah, les belles gueules… On aime l’air sérieux de Jean-Claude Lauzon; énigmatique de Wim Wenders; halluciné de Godard; les yeux de serpent de Barbet Schroeder; puis ceux passablement harassés de Spike Lee. Jacques Dufresne, photographe, sort un livre d’images: Les Nouveaux Cinémas, un regard panoramique sur le FCMM depuis 30 ans, et un superbe travail d’édition. En vente en librairie et au Festival.

Des sons et des images
Wetfish, duo électronique, présente le 21 octobre le spectacle qui devait être donné à New York: une nouvelle lecture du Métropolis de Fritz Lang. L’image est manipulée, mais Patrick Graham (Ramasutra), Sébastien Croteau (Globe Glotters), Sandro Forte et VJ Pillow y vont surtout d’une bande-son ultramoderne. Que ceux qui doutent encore du caractère intemporel de Métropolis soient confondus.

16 h et 21 h au Musée d’art contemporain.

Présentée par l’Office franco-québécois de la jeunesse dans le cadre du FCMM, la série Bienvenue dans un monde meilleur propose un mélange cinéma muet et musique électronique en direct. Une musique subtile, qui aime les basses et les contrebasses, actualise en douceur la frénésie des cuisines de La Samaritaine en 1930 (Le Ventre d’un magasin); le délirant film sur les échecs du grand Poudovkine (La Fièvre des échecs); et les cascades hallucinantes de Buster Keaton (One Week).

19 et 20 octobre au FCMM, le 22 à Joliette et le 29 au Festival de Rouyn-Noranda.

Un court métrage
L’image d’un couple qui danse. Ils se désirent mais se taisent. Il a une mémoire phénoménale, elle veut s’en servir. Il suffit de quelques minutes, et tout est dit. Court métrage réussi de l’actrice Stéphanie Morgenstern, Remembrance est bien filmé, bien joué, bien ficelé. Un air rétro instantanément dépaysant.