Les cinémas du Portugal : Un regard autre
Cinéma

Les cinémas du Portugal : Un regard autre

Si, dans les festivals les plus prestigieux, on le couronne de lauriers, c’est que le cinéma du Portugal parle admirablement le langage du septième art. Au-delà de l’intrigue, c’est un cinéma qui se plaît à bifurquer et à vagabonder, faisant presque un pied de nez à l’impératif de l’action et de la narration. Il était temps de se pencher sur le phénomène.

Si, dans les festivals les plus prestigieux, on le couronne de lauriers, c’est que le cinéma du Portugal parle admirablement le langage du septième art. Au-delà de l’intrigue, c’est un cinéma qui se plaît à bifurquer et à vagabonder, faisant presque un pied de nez à l’impératif de l’action et de la narration. Il était temps de se pencher sur le phénomène. Et qui mieux que Denis Bellemare, professeur de cinéma à l’Université de Chicoutimi et fin connaisseur du dossier, pour concocter le bouquet.

Enchanté par l’initiative du FCMM, Bellemare insiste sur le fait que le geste tombe à point: "Il y a un phénomène exceptionnel qui existe actuellement au Portugal. Connaissez-vous une cinématographie chez qui, ces trois dernières années, toutes les générations de cinéastes aient tourné?" Vous pouvez gamberger, le professeur n’attendra pas la réponse car il sait que vous n’en trouverez pas. Il poursuit donc: "Cela veut dire qu’il y a une colonne vertébrale très forte et des articulations qui se joignent pour créer un mouvement."

À 92 ans et des poussières, Manoel de Oliveira fait, dans cette filiation, figure de vétéran. Cette année, on lui doit Je rentre à la maison, avec Michel Piccoli qui ne trouve plus de quoi justifier sa présence sur un plateau de tournage. Une superbe fable sur la fuite du sens lorsque même le passé n’arrive plus à remplir le vide du présent. Côté documentaire, Oliveira fait double présence en réalisant un film sur la ville qui a vu l’émergence du cinéma portugais (Oporto de mon enfance), alors qu’il est lui-même le sujet central d’une anthologie de ce même cinéma (Notre cas).

Du plus vieux au plus jeune, celui qui fera des gorges chaudes est sans contredit Joao Pedro Rodrigues avec O fantasma, le récit érotico-sadique d’un éboueur homosexuel, esclave de ses pulsions pornographiques et de sa bestialité charnelle. Un film aride, peu bavard et sans compromis, qui suit une ascension plus instinctive qu’émotive, et qui se rapproche de la mutation.

Dans un registre autrement plus classique, Paulo Rocha signe La Rivière d’or, une tragédie démentielle tirée d’une légende populaire fantastique prenant lieu sur les rives du fleuve Douro. Une fresque d’une grande beauté esthétique qui puise dans la laideur des sentiments (jalousie, cruauté) l’essence de son argument. Aussi inspiré par le projet, Saguenail en a fait un documentaire, Marginalia II, où il s’interroge sur la mise en scène de Rocha et sur son appropriation de l’espace.

La génération intermédiaire
Du côté de la génération que Bellemare qualifie d’"angoissée et inquiète", on voit des promesses de films durs mais puissants. De l’aveu du programmateur, l’oeuvre maîtresse est Dans la chambre de Vanda, de Pedro Costa. Un documentaire qui interroge le genre sans jamais s’en écarter car, ici, la réalité crève l’écran: Vanda accuse une accoutumance à la cocaïne et à l’héroïne, réglée aux quarts d’heure. Costa la filmera pendant 130 h et en extraira un document de 3 h, bouleversant autant sur le plan cinématographique que sur le plan humain.

Tout à fait fictionnel, La Déchirure, de Raquel Freire, propose un microcosme cruel où des étudiants dictent, en vase clos, des codes et des rituels qui conjuguent le savoir avec le pouvoir. Fragile comme le monde, de Rita Azevedo Gomes, propose à sa manière une autre quête d’absolu, où des amoureux cherchent dans la nature une résonance à leur fusion. Cette même nature est au centre des errances d’Ana dans Eau et Sel, de Teresa Villaverde. Dans Respirer sous l’eau, d’Antonio Ferreira, c’est plutôt l’abnégation de soi devant le pouvoir que peuvent exercer les autres sur nos désirs.

Pour ce qui est du tableau identitaire, il faut voir du côté de la démarche expérimentale d’Edgar Pêra (La Fenêtre), ou encore celle, engagée socialement, de Joao Canijo (Gagner sa vie). Section documentaire, le passé colonial du Portugal hante son présent: du Mozambique (Searching for Alberto) au Cap-Vert, en passant par l’Inde portugaise (La Dame de Chandor), le territoire imaginaire se déploie jusqu’en Orient et se dévoile à travers une démarche singulière qui n’assujettit jamais le film à l’événement.

Si Bellemare parle de cinémas du Portugal au pluriel, ce n’est pas par figure de style. Car, s’il est difficile de rattacher les cinéastes portugais à une école spécifique, il est tout aussi restrictif de les coincer dans la case du cinéma national: "Cela réduit un cinéma à sa spécificité qui n’est que de 20 %. L’autre 80 % étant le langage cinématographique qui appartient à tout le monde. Il faut se demander ce que les Portugais peuvent nous apprendre sur le cinéma, plutôt que de tomber dans le piège de ce que le cinéma peut nous apprendre sur le Portugal."

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