Atanarjuat, l'homme rapide / Zacharias Kunuk : Au départ
Cinéma

Atanarjuat, l’homme rapide / Zacharias Kunuk : Au départ

Les honneurs pleuvent sur Atanarjuat. Chaque fois que le film est présenté dans un festival, il gagne. De la Caméra d’or à Cannes, en passant par Toronto, Édimbourg, la Belgique et l’Australie, jusqu’aux deux plus récents prix accordés au FCMM (Prix du jury et Prix du public): Atanarjuat, l’homme rapide a le bon oeil…

Les honneurs pleuvent sur Atanarjuat. Chaque fois que le film est présenté dans un festival, il gagne. De la Caméra d’or à Cannes, en passant par Toronto, Édimbourg, la Belgique et l’Australie, jusqu’aux deux plus récents prix accordés au FCMM (Prix du jury et Prix du public): Atanarjuat, l’homme rapide a le bon oeil… Des surprises chaque fois pour Zacharias Kunuk, coproducteur et réalisateur du film; de justes récompenses pour Norman Cohn, coproducteur et directeur photo: "Nous sommes des professionnels, dit ce dernier. Je fais ce métier depuis 30 ans, et Zacharias depuis 20; nous avions planifié ceci. Ce film n’est pas brillant par accident, ce n’est pas du folklore: nous avons voulu faire un grand film pour les Inuits, et pour les autres." On appelle ça de la confiance en soi… Pros de la vidéo, Cohn et Kunuk ont plusieurs films à leur actif, et ils ont fondé la société de production Inuit Isuma. Cohn parle, et Kunuk filme; même pendant les entrevues, peu bavard, il ne lâche pas sa caméra. Qu’importent les manies, Atanarjuat est vraiment une grande épopée, un voyage comme on n’en fait plus beaucoup, à travers le temps, l’espace et le froid. C’est un concentré de lointain.

Même pour les Inuits d’aujourd’hui, Atanarjuat fait sa marque: la légende commençait à disparaître. Les plus vieux la racontaient à Kunuk quand il était enfant, à Igloolik au Nunavut; mais l’arrivée de 42 chaînes de télévision dans le Grand Nord a stoppé la transmission des histoires de génération en génération. Paul Apak Angilirq, troisième larron de la société Isuma, scénariste du film décédé juste avant la fin du tournage, a récolté la légende d’Atanarjuat par bribes. Car on la racontait comme on récite des haïkus japonais. Ce sont des histoires de saison, détachées en blocs, qui finissaient par former un tout, une sorte de cycle de la vie. Écrit en inuktikut, cela a donné un scénario riche, rond et complet; on a bouché les trous et ajouté des personnages. Et avec la caméra baladeuse de Kunuk, cela a donné un film universel. On y parle de tribus inuits nomades, de deux frères qui doivent se battre contre un mauvais sort lancé par un chaman, d’Atanarjuat (l’homme rapide, Natar Ungalaaq) et d’Amaqjuaq (l’homme fort); d’Atanarjuat qui gagne la main d’Atuat (Sylvia Ivalu) au détriment d’Oki, fils du chef (Peter Henry Arnatsiaq), et de la haine entre les deux. On parle de poursuite, de meurtre, de viol, de jalousie, puis de respect et de compassion.

La caméra légère (du numérique passé en 35 mm) suit cet homme qui semble voler, nu, sur la banquise; elle entre dans l’étouffante moiteur d’une hutte chauffée à l’huile de phoque; elle capte les bleutés de l’igloo; elle s’immisce sous les peaux de bêtes et parvient à faire ressortir tout le laiteux du ciel, les ocres du sol, et le vert très timide du lichen. Et cette effarante blancheur dans ce vide à perte de vue. On se croirait au début du monde, comme si les Inuits étaient les seuls habitants existants. La caméra pourrait ne transmettre que ça, et ce serait déjà une invitation esthétique marquante et émouvante; mais on embarque, de l’intérieur, par de longs plans assurés, dans ce cercle chamanique des humains en perpétuel état de survie. Dans le cri d’Atuat qui appelle l’homme qu’elle aime, sur les oeufs qui cuisent, dans la précipitation des chiens: nous sommes au coeur même d’une communauté. Sans aucun doute, dans un sentiment d’inclusion bien plus évident qu’avec Himalaya, enfance d’un chef.

Lors de la projection d’Atanarjuat à Igloolik, une ville qui de 1200 habitants, on dénombrait 1500 spectateurs. Depuis, dans les rues, les enfants jouent à la bataille entre Atanarjuat et Oki, dans leur langue. "Avant, c’était Terminator, précise Cohn. Au début, tout le monde était sceptique, on pensait qu’on allait reproduire l’image stéréotypée de sauvages et d’imbéciles superficiels et qu’on ne pouvait pas faire vivre les ancêtres." Redessiner des costumes, retrouver les maquillages et les coiffures, recréer des harpons en os et des outils originaux, retrouver les gestes quotidiens oubliés, impliquer des acteurs qui n’en sont pas (celui qui joue le personnage d’Oki, un chasseur analphabète, a appris son texte par coeur, grâce à l’aide de sa femme) pour six mois de tournage: Kunuk et Cohn ont mis la communauté à l’oeuvre pour faire revivre le passé, sans imposer au spectateur un cours didactique sur le Nunavut, et sans perdre leur propre communauté dans une fausse image. Mission accomplie. Maintenant, Terminator reviendra certainement dans les jeux des enfants; mais Atanarjuat n’est plus une histoire oubliée.

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