ARTE Documentaires : Genre majeur
Cette année, à Paris, novembre est le mois du documentaire. Même chose pour Montréal, semble-t-il, avec les Rencontres du documentaire, qui se préparent, et avec cet impressionnant échantillon proposé par ARTE Documentaires.
Cette année, à Paris, novembre est le mois du documentaire. Même chose pour Montréal, semble-t-il, avec les Rencontres du documentaire, qui se préparent, et avec cet impressionnant échantillon proposé par ARTE Documentaires. Pour la quatrième année consécutive, la Cinémathèque renouvelle son association avec la chaîne culturelle européenne ARTE, et offre carte blanche à Thierry Garrel, directeur de l’unité de programme documentaire. ARTE a été fondée il y a 10 ans; ARTE Documentaires produit une dizaine de films par année: Thierry Garrel a donc choisi parmi une centaine de productions pour composer sa liste, plus représentative du travail accompli que bibliothèque idéale, selon lui. Les films font partie de la collection Grand Format et dépassent les 52 minutes standards pour la diffusion télévisuelle. "Cette collection est le fer de lance de notre production, explique M. Garrel. Ce sont à la fois des percées stylistiques et des sujets d’importance à dimension humaine. Car, comme a déjà dit Jean-Luc Godard: "Le documentaire est l’instant fatal de la vie des hommes.""
Ces documentaires, souvent primés dans les festivals, font l’effet inverse de la télévision. Au lieu de nous rendre indifférents au monde, ils nous l’éclairent, par petites touches, de façon tantôt tragique, tantôt comique. Toute la différence est dans l’écriture: si l’on vous parle d’une colline près d’Haïfa où, à la création d’Israël, s’étaient réfugiés les colons, on peut facilement friser la surdose. Mais dans les documentaires d’Amos Gitaï (connu pour ses fictions Zion, Kadosh, Kippur), Wadi 1981-1991 et Wadi Grand Canyon (2001), l’information passe en second. On suit les trajectoires individuelles de quelques habitants de ces collines qui, arrivés la fleur entre les dents, se retrouvent seuls, malades, vieux, pauvres et cernés par les HLM et la construction du plus important centre commercial du Moyen-Orient, un monstre à l’américaine. Cours d’histoire impressionniste. Thierry Garrel a un faible pour La Terre des âmes errantes, de Rithy Panh, gagnant dans plusieurs festivals internationaux, sur la pose des câbles de fibres optiques au Cambodge. Vision d’un chantier dans un pays encore marqué par la guerre et le génocide, de la part du réalisateur très talentueux d’Un soir après la guerre et des Gens de la rizière.
Notons des histoires passionnantes, des femmes recluses au Niger qui font du commerce dans le dos du chef (Contes et Comptes de la cour, Éliane de Latour, 1992); et le néocolonialisme occulte, celui qui est né après l’indépendance, notamment du Congo, du Gabon et de l’Angola, à travers un historique de la compagnie française ELF (ELF: Une Afrique sous influence, Fabrizio Calvi et Jean-Michel Meurice, 2000).
On craque pour Medevkine, cinéaste russe dangereusement irrévérencieux, fil conducteur du communisme, dernier des bolcheviks et ami de Chris Marker, qui lui avait dédié en 1993 une superbe lettre, aussi bigarrée qu’un scrapbook: Le Tombeau d’Alexandre. Paniquant, Les Vivants et les Morts de Sarajevo nous replonge dans l’actualité d’il y a quelques années à peine. En 1993, Radovan Tadic filmait les oubliés des journalistes, les habitants de Sarajevo sous les snipers. Les visages ont dépassé la peur: directrice stoïque d’un asile psychiatrique, médecin épuisé, infirmière dégoûtée, famille misérable, et adolescent emmuré dans son silence qui traverse la ville pour trouver un os à son chien, suivi d’une caméra tremblotante. L’horreur décrite d’une voix morne. Terrible.
Un bonheur, enfin, qui vient de la part d’un humaniste visiblement collectionneur: Emmanuel Finkiel, l’excellent réalisateur de Voyages et de Madame Jacques sur la Croisette, s’est servi du casting de 500 non-professionnels de plus de 60 ans et d’origine ashkénaze (en vue de la préparation de ses deux films) pour imaginer un troisième film: Casting. Un film délicat, un film d’écoute qui laisse la caméra filer sur les histoires de chacun, sur ces vieillards souvent joyeux, sur les fous rires des dames et les chansons des messieurs. Petit à petit reviennent des souvenirs communs, l’enfance en Pologne et la Shoah. Très émouvant.
À la Cinémathèque québécoise
Jusqu’au 30 novembre